Anne Teresa de Keersmaeker plonge le Théâtre de la Ville dans « Vortex Temporum »
Vortex Temporum Dramaturgie musicale de Bojana Cvejić Costumes de Anne-Catherine Kunz Créé avec & dansé par Bostjan Antoncic, Carlos Garbin, Marie Goudot, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Julien Monty, Chrysa Parkinson et Michael Pomero Musique : Vortex Temporum, Gérard Grisey (1996) Direction musicale de Georges-Elie Octors Musiciens Ictus: Du 28 avril au 7 mai 2014 Plein tarif : 35€ Théâtre de la Ville www.theatredelaville-paris.com |
C’est comme si Anne Teresa De Keersmaeker nous projetait à travers l’histoire musicale. La doyenne des chorégraphes contemporains s’empare d’une œuvre épochale de Gérard Grisey, écrite en 1996. Au Théâtre de la Ville, sept danseurs et six musiciens fusionnent se glissent sous la peau de la musique spectrale de « Vortex temporum », toute en spirales ou structures circulaires.
Depuis les années 1980, De Keersmaeker n’a jamais fait autre chose que creuser les strates et trames à l’intérieur du temps, en relation avec l’exploration de l’espace, révélant les deux comme des organismes vivants, dans une expérience augmentée du sensible. C’est cette expérience d’une écoute quasiment plastique que les danseurs transmettent aux spectateurs. Dès ses débuts, la fondatrice de la compagnie Rosas, incontournable depuis trente ans, voulait « donner à voir la musique », à commencer par celle de Steve Reich, puis celle de Bartok. Cette volonté était la trame et le ressort de ses recherches initiales, son intention la plus profonde dès le solo fondateur, « Fase ». Le jeu complexe et inépuisable, fait de variations, accumulations et contrepoints, traversa ensuite les trois autres pièces fondatrices, « Rosas danst Rosas », « Elena’s Aria » et « Bartok/Aantekeningen » qui font l’objet d’une documentation détaillée dans les « Carnets d’un chorégraphe » publié en 2012 (1). Grâce à leur rigueur, ses premières pièces de De Keersmaeker n’ont rien perdu de leur force et sont entrées dans la mémoire collective. La preuve, Beyoncé s’est laissée inspirer de près, un peu trop même, de « Rosas danst Rosas » comme d’autres « créatifs » du show-biz ou de la pub copient les grandes références de l’art contemporain. Rien n’est tombé du ciel, tout a été conquis avec force et volonté. « Il me fallait apprendre comment on crée une chorégraphie et ça m’angoissait. A l’époque nous étions tous autodidactes. » Cette expérience continue à lui donner l’énergie nécessaire de tout remettre en question, presque à chacune de ses créations. Mais si elle cherche les ruptures dans son œuvre, elle passe obligatoirement par la fusion entre danse, musique et structures mathématiques, créant ainsi un fond commun qui donne à l’œuvre son unité et son unicité. Toujours une approche nouvelle, notamment à travers la musique! La musicologue Bojana Cvejic, avec laquelle De Keersmaeker a conçu et réalisé les « Carnets », souligne à quel point les structures de chaque création de Rosas doivent être analysées selon leurs propres règles. La fondatrice de Rosas n’a jamais cessé de se lancer de nouveaux défis et de remettre en question ses propres acquis. Chacune de ses mises en abyme part de la musique. Dans « The Song » elle demandait aux interprètes de tenir la scène sans musique et de chantonner eux-mêmes. Aussi, elle prit goût au jeu avec la disparition et la déstabilisation. La mise en crise produisait ensuite une nouvelle étape dans son travail, à la recherche d’une relation physique entre la musique et la danse. Dans « Cesena », présenté au Festival d’Avignon 2012 dans la Cour d’honneur du Palais des Papes à quatre heures du matin, les danseurs chantaient et les chanteurs de l’ensemble Graindelavoix participaient pleinement à la chorégraphie qui débutait dans un noir complet, dans lequel la troupe s’était glissée l’année précédente, à la tombée de la nuit, à la fin de « En atendant ». Pour « 3Abschied », sa création avec Jérôme Bel, la chorégraphe prit elle-même des cours de voix, pour chanter Mahler en dansant en solo. A la recherche de la mélodie intérieure des corps, sur un plateau occupé par l’orchestre, elle se faufilait entre les chaises des musiciens, créant une danse sans espace. En épousant « Vortex temporum », les danseurs de Rosas et les musiciens de l’ensemble Ictus entament un vrai dialogue chorégraphique qui dépasse le geste musical. De Keersmaeker amène les uns comme les autres à l’intérieur du temps. Chaque son devient un élan dansé, chaque flexion du corps épouse une courbe sonore, l’un multipliant l’autre. C’est peut-être abstrait, mais pas plus qu’un Kandinsky. Et sur le plateau, les interprètes donnent certes leurs corps, mais avant tout leurs âmes pour atteindre une qualité d’interprétation qui est le fruit d’un long cheminement commun. Thomas Hahn De Keersmaeker Le mardi 29 avril 2014 à 18h Présentation de CARNETS D’UNE CHORÉGRAPHE / En attendant, Cesena (2e volume) : Conversation entre la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker et la théoricienne des arts et musicologue Bojana Cvejic. Gratuit. Inscriptions : [Photos : ©Herman Sorgeloos] |
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