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Anne-Marie la Beauté à La Colline, une épure poignante

© Simon Gosselin

Yasmina Reza a écrit ce monologue de femme pour le comédien André Marcon. Elle rend un magnifique hommage aux actrices oubliées ou sans gloire et son interprète fétiche y est bouleversant.

S’appuyant sur une sobriété qui stylise la féminité, André Marcon évoque le jeu des onnagata du théâtre japonais, jeu où la théâtralité est ciselée au point que l’on oublie l’apparence réelle au profit d’une subtile incarnation. Discrètement maquillé, habillé d’une jupe sous le genou et d’un corsage qui ne cache pas la lourdeur du corps, André Marcon se métamorphose avec simplicité et finesse en une vieille dame qui raconte son parcours de comédienne. Il est Anne-Marie Mille, l’héroïne du monologue. Sans aucun des excès dont on affuble souvent les femmes, sans les incontournables clichés dont on les revêt et à l’opposé des rires habituellement recherchés dès lors qu’un homme porte des chaussures de femme, André Marcon la fait vivre avec une délicatesse de bout en bout saisissante, juste avec ses gestes, ses mots, quelques accessoires tels qu’un poudrier de sac à main et surtout, une indescriptible et infinie mélancolie qui remplit la salle. Une méridienne de velours vert, quelques silhouettes en noir et gris signés Orjan Mikström sur les murs du plateau, suffisent à planter le décor mental de cette comédienne qui se retourne sur sa vie.

© Simon Gosselin

En abordant son métier, elle a rêvé des grands rôles du répertoire, de célébrité, de tourbillon sous les paillettes et les projecteurs. Mais son physique, puis la malchance peut-être, l’ont laissée à l’ombre des têtes d’affiches. Elle a pourtant partagé une grande amitié avec Giselle, dite Gigig, qui,elle, avait la beauté qui conduit au succès mais dont l’enterrement récent n’a plus attiré que quelques photographes. Anne-Marie à elle seule parle pour tous ceux qui rendent vivant ce monde du théâtre, qu’elle n’a jamais cessé d’aimer malgré les déconvenues et les peines. Ni rancœur, ni regret ne l’anime. Elle sait qu’elle arrive à son tour à la fin de sa vie et elle manie à part égales malice et fragilité, humour et amour, gratitude et désillusion. Tandis qu’elle semble s’adresser à un ou une journaliste, on ne saura pas vraiment, elle revoit et se remémore quelques grands moments dans des loges fleuries, où frappaient des hommes élégants avides de rencontrer Gigi. De cela ne reste qu’une paire de chaussons de velours rouge à pointe fine qu’elle enfile avec une grâce et une sensualité que le travestissement d’André Marcon élève au plus haut.

Le magnifique texte de Yasmina Reza porte une fluidité enveloppante, une nostalgie qui émeut et une attention aux humbles qui submerge le public de son humanité juste, sans effets ni surlignement ni outrance compassionnelle, à l’image de la Chaconne de Bach, dans l’harmonie et l’équilibre. Elle interroge à travers son héroïne la grandeur d’une vie à l’aune des rêves que l’on y projette, et une beauté irradiante s’en dégage. C’est la cinquième fois qu’elle travaille avec André Marcon et rarement sur une scène de théâtre la féminité est ainsi apparue en son essence la plus bouleversante.

Emilie Darlier-Bournat

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