Angels in America : une fantaisie gay à la Comédie-Française
Vingt-cinq ans après sa création, l’épopée tragico-burlesque du New-Yorkais Tony Kushner entre au répertoire de la Maison de Molière dans la mise en scène du cinéaste Arnaud Desplechin et une version raccourcie à trois heures par Pierre Laville. Un retour vers les années sida en Amérique brillamment écrit et interprété, qui reste plus burlesque que tragique.
Les anges en Enfer
Quoi de mieux pour conjurer l’enfer que de faire valser le Diable avec les anges, le mal avec l’innocence, la perversité avec la pureté ? Tony Kushner a 35 ans quand il compose cette œuvre magistrale sur les ravages du sida en Amérique et son œuvre connaît très vite un succès fulgurant, couronnée par le Prix Pulitzer et le Tony Award, ce qui lui vaut d’être rapidement traduite et montée en 1994 par Brigitte Jaques-Wajeman à Aubervilliers. Nous sommes à New York en 1985 et l’épidémie commence à décimer en silence de nombreux homosexuels, tandis que les puritains et les conservateurs version Ronald Reagan relèguent les victimes comme des pestiférés en marge de la société, tel un fléau. Le célèbre avocat de Donald Trump, Roy Cohn, mort du sida en 1986, fait partie de ceux-là. Interprété magistralement ici par Michel Vuillermoz, il nie en bloc son homosexualité en évoquant le puritanisme divin et clamera aux médias qu’il est atteint d’un cancer du foie, tout en bénéficiant par ses relations gouvernementales des premiers échantillons d’AZT, premier antiviral pour le traitement du VIH.
McCarthy chez Shakespeare
À partir du personnage sulfureux et diabolique de Roy Cohn, qui avait participé, avec le sénateur McCarthy, à la mise à mort d’Ethel Rosenberg, Kushner, qui se dit “juif, homosexuel et marxiste”, brode un feuilleton savoureux, délirant au même titre que dérangeant, qui agrège autour de l’avocat une multitude de personnages emblématiques. Le plus poignant est Joe Pitt, incarné par l’éblouissant Christophe Montenez, jeune avocat mormon et coincé, que Roy Cohn va totalement subjuguer, et dont l’homosexualité se révélera par la rencontre dans les toilettes d’une haute administration de Louis, indolent et jouisseur, joué par Jérémie Lopez. Effrayé par la progression du sida de son amant Prior, campé par Clément Hervieux-Léger, Louis s’évade avec Joe, alors que la jeune femme de ce dernier, Harper (Jennifer Decker) s’abîme solitairement dans une névrose psychotique.
Entre réel et fantastique
Dans une scénographie en 44 tableaux qui défilent comme du cinéma, rideaux noirs et projections conventionnelles de Manhattan, plateau qui s’ouvre en deux parties qui permettent le télescopage en direct de deux scènes, Gaël Kamilindi débarque en blanc avec paillettes pour camper gracieusement un infirmier céleste, Dominique Blanc joue en même temps un rabbin et le fantôme d’Ethel Rosenberg et Florence Viala l’ange qui débarque pour sauver le peuple américain, alors que la Perestroïka fait éclater les murs de la honte entre les deux blocs en 1989. On est dans l’intimité des chambres, tout près des lits d’hôpitaux et sur les quais nocturnes de l’Hudson River, propices aux rencontres interlopes, mais on traverse aussi la grande Histoire, la fin de la Guerre Froide et les mythes bibliques de la rédemption. De ce melting-pot de sept heures réduit à trois, Arnaud Desplechin et ses huit excellents comédiens parviennent à nous livrer une version au fini classique, respectueux de l’intrigue, peut-être trop sage. Le temps a passé, certes, et les mentalités ont évolué. Mais l’œuvre n’a cependant rien perdu de sa superbe et de sa flamboyante baroque.
Hélène Kuttner
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