“Amours (2)” : Joël Pommerat revient nous parler d’amour
©Blandine-Armand
D’un spectacle créé en milieu pénitentiaire, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat fait une série de représentations rares, présentées avec un public restreint dans un espace tri-frontal, qui parle du lien amoureux, mais aussi de la famille, des déchirures affectives, des fantômes qui reviennent nous hanter. Un Pommerat intime et sobre. Splendide.
Il n’y a pas d’amour heureux
Comme l’écrit le poète Louis Aragon dans son poème éponyme, « Il n’y a pas d’amour heureux. Mais c’est notre amour à tous les deux. » L’amour sans la douleur n’existe pas, ni l’amour sans les pleurs. Dans ce beau spectacle de Joël Pommerat, la deuxième scène est jouée par un couple, qui voit surgir un autre homme. Qui est ce dernier ? La femme le connaît-elle ? Et pourquoi veulent-ils soudain partir ensemble, devant les yeux ébahis du mari qui ne comprend rien ? Voilà. Les scènes écrites par l’auteur, qui sont extraites de trois de ses oeuvres, « Cercles/Fictions », « Cet enfant » et « La réunification des deux Corées », constituent un théâtre de l’intime dont les mots jaillissent avec la fulgurance dangereuse des émotions. Pas de vains discours, pas d’explication logique. Les phrases sont performatives, elles interrogent, ordonnent, caressent ou blessent à la mesure d’un coeur qui bat.
Espace ouvert
Ce spectacle est la suite d’une première création, « Amours (1), présentée en avril 2019 à la Maison Centrale d’Arles avec des détenus au sein d’un atelier de théâtre et dans une configuration réduite, sans décor ni costumes, avec des chaises disposées autour du plateau de jeu. Deux de ces détenus ayant participé à ce travail au long cours, Jean Ruimi et Redwane Rajel, ont été libérés depuis et font partie de la distribution actuelle, avec trois comédiennes, Marie Piémontese, Elise Douyère et Roxane Isnard. Ce sont eux, formidables acteurs, qui interprètent la dizaine de personnages de ce nouvel opus, « Amours (2) », que l’auteur a complété avec d’autres scènes. Dans un espace ouvert encadré par quatre rangées de dix chaises sur lesquels sont assis les spectateurs, ils incarnent un père et son fils, dans une discussion sans répit dans laquelle le fils reproche à son père une éducation trop stricte, un couple qui se déchire face à un fantôme revenu sur terre, une femme qui propose son bébé à un couple de voisins car elle ne peut s’en occuper…. Des saynètes d’une évidence cruelle, jouées sans fard, avec la précision d’un scalpel.
Le lien
L’amour et le désamour, la perte de la mémoire familiale, l’incapacité d’accepter l’autre et de survivre, le désir de rompre ou la tristesse d’un d’un départ subi, autant de situations qui nous parlent des liens, de « l’amour qui ne suffit pas » et pourtant qui est tout. D’une amitié qui est à réinventer, d’un couple qui affabule pour maintenir sa mythologie. Qu’est-ce qu’une famille ? Qu’est-ce que le couple ? Et l’amour. Joël Pommerat et ses bouleversants comédiens n’apportent aucune réponse. Mais on en ressort le cœur chaviré.
Hélène Kuttner
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