Alice Leloup : “La danse classique est une lutte contre la gravité”
Entretien avec une danseuse de l’Opéra de Bordeaux. Elle nous partage sa découverte de la danse contemporaine, sa vision de danseuse classique, ainsi que le quotidien confiné d’un danseur.
Comment as-tu découvert la danse ?
Ça a commencé très tôt, j’ai très peu de souvenirs de moi sans la danse. Ma mère aimait beaucoup les ballets, elle enregistrait ceux qui passaient à la télé et j’ai tout de suite accroché. Je regardais le Lac des cygnes tous les jours, ça a été comme un coup de foudre.
Je suis donc allée dans une petite école de danse et j’ai eu de très bonnes bases tout de suite. À 9 ans j’étais en horaires aménagés, d’abord dans une école parisienne qui s’appelait Stanlowa, ensuite j’ai fait un an au CNR de Paris et après je suis rentrée à l’école de danse de l’Opéra de Paris jusqu’à mes 18 ans. J’ai fait deux ans dans la compagnie de l’Opéra de Paris mais sans contrat, donc à chaque fois j’étais obligée de repasser le concours pour espérer avoir un contrat fixe. J’avais aussi passé le concours pour l’Opéra de Bordeaux, qui est une très bonne compagnie, plus petite et avec plus ou moins le même répertoire, très classique mais aussi contemporain.
J’ai eu ce concours la deuxième année, j’ai hésité à rester à Paris pour retenter ma chance mais je commençais un peu à fatiguer. J’avais juste envie de danser, j’en avais marre d’être remplaçante et de repasser le concours à chaque fois. Je suis alors partie à Bordeaux et là je finis ma huitième année.
Tu fais des ballets de danse contemporaine avec une formation classique, ça n’a pas été trop dur de passer de l’un à l’autre ?
Ça n’a pas été dur, mais surprenant. Quand je suis entrée à Bordeaux je n’avais pas de culture contemporaine, je n’étais pas formée à ça. Je ne me sentais pas très à l’aise les toutes premières années, ça n’était pas mon truc mais j’aimais bien.
Ça a démarré pour moi avec Carolyn Carlson qui est venue faire une création chez nous, elle nous avait fait faire des choses un peu étranges. On a fait un autre ballet d’elle l’année suivante qui était beaucoup plus dansé, avec beaucoup plus de chorégraphie et de langage contemporain, on n’était pas énormément dessus. C’est comme ça que c’est venu.
Le déclic que j’ai eu c’est quand j’ai été prise pour un ballet très contemporain, mais surtout très exigeant physiquement. J’avais l’impression de découvrir mon art comme jamais. À chaque fois j’étais très surprise parce que ce n’est pas l’image que j’ai de moi. L’année d’après, il y a eu un partenariat à Bordeaux avec Angelin Preljocaj pour son ballet Blanche Neige et là pareil, il y a eu des castings et j’ai eu le rôle de Blanche Neige.
Quelles sont les différences dans les mouvements classiques et les mouvements contemporains ?
En fait, dans le contemporain, il y a beaucoup plus de diversité de langages chorégraphiques. Des choix qui sont fait sur des choses qui se dégagent, des profils, et c’est une technique qui est beaucoup moins cadrée, qui laisse beaucoup plus de liberté pour danser comme toi tu l’imagines. Ça peut être effrayant, parce que tu es confronté à qui tu es, qu’est-ce que tu vas faire de la chorégraphie, où est-ce que tu vas l’amener.
Dans le classique il y a la chorégraphie, et tu dois te mouler dedans. L’interprétation est très codifiée donc c’est beaucoup plus difficile de sortir du cadre et de le faire à ta manière. La part artistique est importante mais la rigueur et la technique sont bien plus fortes. Il faut paraître extrêmement léger, c’est une lutte contre la gravité, surtout pour les filles en pointes. Alors que le contemporain c’est une forme d’expression en mouvement, et beaucoup plus dans le sol. Donc ça change même les physiques, ton corps change parce que c’est beaucoup moins aérien.
C’est pour ça que c’est intéressant d’aborder le classique avec la liberté du contemporain.
As-tu envie de découvrir un autre type de danse ?
Oui, même si je ne peux pas dire que j’ai fait le tour du classique. C’est vraiment une profession qui n’en finit jamais, il n’y a pas de routine et on apprend en permanence. Mais c’est ma zone de confort, il y a moins de surprises. J’ai l’impression que le contemporain est la suite logique. C’est comme un monde qui s’est ouvert depuis que j’ai commencé à en faire. J’ai beaucoup exploré le classique et j’ai l’impression de commencer à toucher le contemporain. C’est beaucoup plus vaste, donc forcément ma curiosité et mon envie sont très portées là-dessus. Même si j’aime le classique et que j’aimerai toujours le classique.
Ça se complète et les classiques que j’ai pu faire à la suite, je ne les aurais pas dansées comme ça si je n’avais pas découvert une autre façon de danser. Le contemporain m’a vraiment libérée, ça m’a donné une vision plus large sur le classique.
Comment as-tu entretenu tes muscles pendant le confinement ?
Le plus dur a été de ne pas avoir de but, de perspectives. Confiné ça veut dire tu es chez toi, la plupart du temps sur ton canapé et donc, au-delà des muscles, la densité osseuse diminue, ça fragilise.
L’Opéra avait organisé un suivi, on avait tous les jours nos maîtres de ballet qui tenaient un cours en visio. Mais c’était avec les aléas de chacun. Moi par exemple j’ai un petit salon, donc dès que j’allongeais ma jambe devant je touchais le canapé, derrière je touchais la télé. Ça a beaucoup aidé mais ce n’était pas du tout comme au théâtre, il n’y a pas d’espace, on ne peut pas faire de sauts donc c’était un minimum. On avait aussi des cours de pilate pour maintenir une musculature. Mais après je me suis blessée à la hanche, j’ai dû être immobilisée pendant 3 jours, puis 10 jours sans activité en bas du corps. Psychologiquement ça a été très dur.
Là on a repris, des protocoles très complexes ont été mis en place mais on a pu retourner très vite dans de bonnes conditions. On a même un spectacle prévu le 4-5 juillet en plein air, donc on a des répétitions et ça fait du bien.
Propos recueillis par Alix Plancade.
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