Alain Platel et le Requiem de Mozart : entre l’Afrique et l’Europe
Chaillot – Théâtre National de la Danse accueille un des spectacles les plus étonnants, où un compositeur et un chorégraphe réinventent les sensations et les mélodies du Requiem de Mozart, pour un rituel universel, en passant par le continent africain.
Alain Platel, véritable étoile fixe de la danse contemporaine belge, possède un imaginaire bouillonnant et imprévisible. Avec « Requiem pour L. », il chorégraphie une œuvre dont tous les protagonistes sont musiciens ou chanteurs. C’est donc un concert, mais pas seulement. L’écriture d’un chorégraphe reste chorégraphique. Pas de grands chœurs ici, mais de l’espace et une mise en scène digne non d’un opéra mais d’une pièce de danse.
Mozart a-t-il une âme africaine? On se souvient bien de « Mozart l’Egyptien » de Hughes de Courson et Ahmed El Maghreby où l’univers du compositeur viennois dialogue avec la musique orchestrale arabe. Dans « Requiem pour L. », le compositeur Fabrizio Cassol, dans sa troisième collaboration avec Alain Platel, réinvente le Requiem de Mozart pour instruments non symphoniques, voix africaines et chanteurs lyriques d’Afrique du Sud.
Les instruments sont les plus divers, et aussi surprenants les uns comme les autres quand il s’agit de faire résonner l’esprit mozartien. L’orchestre se compose ici de guitare et basse électrique, accordéon, euphonium, percussions et likembes, ces pianos à pouce de l’Afrique subsaharienne. Et les chanteurs s’expriment dans leurs langues maternelles au lieu du latin: Lingala, swahili, kilari…
Chez Cassol comme chez Platel, la collaboration avec des musiciens ou danseurs d’Afrique est une longue tradition. Cassol avait entrepris un voyage initiatique chez les Pygmées du peuple Aka avant de fonder le groupe Aka Moon dont il est toujours le compositeur et saxophoniste. Il a aussi travaillé avec des chorégraphes comme Faustin Linyekula ou Lemi Ponifasio, mais aussi avec l‘incontournable Anne Teresa De Keersmaeker. Quant à Platel, fondateur des Ballets C de la B, dont sont issus des chorégraphes comme Sidi Larbi Cherkaoui, il a à maintes reprises travaillé avec des musiciens d’Afrique du Sud, du Congo etc.
Platel orchestre non la musique, mais la présence et les actions des chanteurs et musiciens, pour évoquer les situations de deuil, les émotions et les sensations qui sont liées aux rituels autour de la messe des morts. Il y a ici autant d’éléments du continent africains que d’Europe, et ce « Requiem pour L. » devient ainsi un rite vraiment universel. Nous ne savons qui est « L. » – ou elle – et à qui ont songé Platel et Cassol au moment d’imaginer cette œuvre inclassable. Ce que nous savons est qu’ici le travail chorégraphique est tout entièrement dédié aux émotions.
Il y a là aussi une pensée pour Mozart lui-même, qui ne pouvait achever son Requiem et qui fut jeté dans une fosse commune après son trépas. C’est pourquoi « Requiem pour L. » est basé sur la présence de chaque chanteur ou musicien, dont on rencontre directement l’expression musicale, physique et émotionnelle. Chacun y exprime son propre mode de vie et nous invite à ouvrir nos oreilles, nos yeux et nos cœurs.
Thomas Hahn
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