Akram Khan en King de Paris, en Toro et en Lions
Toro De et avec Akram Khan Les 25 et 26 novembre 2016 Espace Pierre Cardin M° Concorde Until the lions D’Akram Khan Avec Akram Khan, Christine Joy Ritter, Du 5 au 17 décembre 2016
D’Akram Kahn Mise en scène de Sue Buckmaster Avec Dennis Alamanos et Nicolas Ricchini Du 21 décembre 2016 Théâtre des Abbesses M° Abbesses (ligne 12) |
Du 25 novembre 2016 au 6 janvier 2017
Akram Khan s’installe à Paris, le temps de présenter trois spectacles, tous programmés par le Théâtre de la Ville. D’abord, son duo avec Israël Galvan, énorme succès qu’il adapte en solo. Ensuite, sa toute dernière pièce, Until the lions, et puis la version tous publics de son solo Desh, chef-d’œuvre de poésie dansée et dessinée. Entre Akram Khan et le Théâtre de la Ville, c’est une longue histoire. Elle s’intensifie encore en cette fin d’année, quand la star londonienne de la danse euro-asiatique débarque à Paris avec une suite de créations qui ressemble à un petit festival. Ce n’est évidemment pas une rétrospective ou une traversée complète de la diversité de ce que Khan peut élaborer, grâce à ses influences culturelles du Kathak à la danse contemporaine. Mais on y croise son goût pour les rencontres et la narration.
Le taureau, sans la vache Ce n’est plus un secret pour personne : le Théâtre de la Ville entre dans sa période de lifting architectural et ferme ses portes, le temps des travaux. L’équipe et une grande partie des spectacles programmés ont investi l’Espace Pierre Cardin, rénové à son tour. Et c’est à Akram Khan de lancer les festivités artistiques, avenue Gabriel, entre Concorde et les Champs-Élysées, quasiment en face de l’ambassade américaine.
Les 25 et 26 novembre, Khan y donne Toro, un solo tiré de Torobaka, son fameux duo avec Israël Galvan. Le titre associait les deux animaux sacrés de la culture sévillane et indienne, le taureau et la vache. Mais Khan choisit le taureau comme emblème, histoire de garder une trace forte de la présence de la vedette flamenca. Et il réinvite les musiciens de Torobaka, qui jouent des airs très variés, mais toujours en dialogue avec des cultures traditionnelles.
Retour au Mahabharata En mettant en scène et en mouvement un épisode du Mahabharata, Akram Khan boucle une boucle, longue boucle qui commence en enfance. Sa mère, spécialiste de littérature, ne cessait de lui narrer les grands récits de l’humanité, dont bien sûr l’épopée de la Grande Guerre des Bharata. Et ce n’est pas sa première rencontre scénique avec ce poème hindou fondateur.
Akram n’a encore que 11 ans quand Peter Brook l’engage pour être en scène dans sa fameuse adaptation du Mahabharata, spectacle qui a fait le tour du monde et écrit une belle page de l’histoire du théâtre. Un spectacle culte, devenu un mythe. Aujourd’hui, Until the lions, la toute nouvelle création d’Akram Khan, lance un focus sur un épisode très intime, croustillant et violent de l’épopée.
Bheeshma, terrible guerrier qui exulte le combat et le célibat, est ici incarné par Akram Khan en personne. Il a cependant une faiblesse : il n’est pas insensible aux charmes de la douce Amba. Mais ses manières ne sont pas des plus polies. Il enlève la belle et jouit d’elle. Mais le lendemain il la renie face au sanctuaire qui lui rappelle son vœu de célibat. Déshonorée, Amba se venge en lâchant contre lui Shikandi, son alter ego combatif, sa facette masculine bien cachée, pour tuer celui qui l’a ainsi offensée. Shikandi déchaîne les forces divines et celle de la nature contre Bheeshma. Mais c’est Amba en personne qui tient sa revanche, en plantant son épée dans le corps de l’homme.
Cette affirmation de la femme est un acte volontaire de la part d’Akram Khan, une façon de rembourser une dette envers elles, qui lui ont tant donné pour sa propre existence : sa mère, les autres femmes de sa famille mais aussi celles qui l’ont pris en charge quand il était en tournée avec la compagnie de Peter Brook. Et depuis qu’il est lui-même père d’une petite fille, sa sensibilité s’est encore accrue. Au départ, il devait par ailleurs incarner tous les rôles du spectacle, l’homme et les deux femmes. Ne lui avait-on pas souvent prêté un côté féminin, à lui qui, jeune garçon, aimait la danse et les autres arts, dans un milieu plutôt macho ? Mais au final, ces deux rôles sont confiés à Ching-Ying Chien et Christine Joy Ritter, deux interprètes excellentes. À lui aujourd’hui de mettre en lumière la lutte d’une femme pour sa dignité, dans un épisode tiré du Mahabharata qui, dans son ensemble, valorise la gent masculine. Khan s’est donc inspiré des analyses de l’écrivaine indienne Khartika Naïr, qui a réécrit l’histoire d’Amba du point de vue féminin. Le titre pointe dans la même direction, en prenant appui sur un proverbe africain. Until the lions : jusqu’à ce que les lions écrivent et content eux-mêmes leur histoire, le récit des chasseurs les traitera en figurants. C’est vrai aussi en guerre, entre vainqueurs et vaincus, et entre les hommes et les femmes. On le sait bien : qui a la parole a le pouvoir, et inversement.
Retour aux origines Il y a quelques années, Akram Khan retourna sur les terres de ses parents, au Bangladesh. De cette expérience bouleversante il tira son solo Desh, récit orchestré à la manière d’un livre d’images, dessiné en direct sur écran de fond. Cette histoire est par ailleurs co-écrite par Khan et Khartika Naïr. Dans son incroyable poésie, c’était déjà un spectacle tous publics, tout juste augmenté de quelques regards sur la réalité sociale. Pourquoi fallait-il en tirer une version jeune public ?
Chotto Desh est à voir à partir de 7 ans et inclut plus de références explicites à l’enfance, pour aider le jeune public à se projeter dans le récit, comme l’explique Sue Buckmaster, qui a adapté et re-mis en scène la création de Khan, tout en préservant l’ambiance et les moyens scéniques. Et ici, ce n’est plus Khan qui interprète son propre personnage. Le rôle a été confié à Dennis Alamanos et Nicolas Ricchini, deux comédiens-danseurs européens qui jouent en alternance et ont rejoint la compagnie d’Akram Khan pour ce spectacle. Donné du 21 décembre au 6 janvier au Théâtre des Abbesses, Chotto Desh fera figure de spectacle de Noël transculturel. Une manière inspirante de terminer ou commencer une année turbulente.
Thomas Hahn [Photos © DR] |
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