Philippe Caubère prince de la scène
Plus vaillant, plus élastique que jamais, le nouveau Caubère s’annonce par un adieu à son personnage, « Adieu Ferdinand » qui passe par la baleine de Mobby Dick ou le Casino de Namur, en passant par le Médoc et le camp naturiste de Montalivet. En deux parties et à pleins poumons, l’acteur-écrivain flamboie dans tous ses talents, du comique au tragique en jouant dix personnages à la fois. Une performance !
La baleine de Mobby Dick
A 67 ans, après la «Danse du Diable » et le «Bac 68 », ses derniers opus et les récompenses – Molière, Prix SACD et Prix de l’Académie Française pour l’ensemble de son oeuvre – Philippe Caubère revient à l’Athénée dans une forme éblouissante et un nouveau spectacle en forme d’adieu à son alter égo Ferdinand Faure. C’est lui, le jeune comédien formé par Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, qui jouait sous et sans les masques de clown, et qui fut le mémorable Molière dans cette saga télévisée réalisée par Ariane Mnouchkine en 1978. Ferdinand, jeune acteur, est certes le narrateur personnage de ce nouveau spectacle, mails il effectue ici un passage de relais. Tout d’abord, dans la première partie, où il évoque sa première trahison conjugale sous la houlette orientale de la chanteuse Oum Kalsoum, puis l’errance avec Clémence et son frère dans le camp naturiste de Montalivet ou l’oeil de Ferdinand-Caubère croque un tableau désopilant des vacanciers dans leur plus simple appareil, d’une uniformité obligatoire. Mais c’est surtout dans la seconde partie, plus tragique, en Belgique près de Louvain-la-Neuve, que la plume de Caubère, teintée de la tendresse de Jacques Brel, dessine des personnages de paysans à la dureté inoxydable, tellement éloignés du petit monde parisien du théâtre.
La tyrannie de la betterave
Car au pays de la betterave, Molière existe moins que la télévision qui fait ou défait les carrières. Un acteur qui ne passe pas à la télé n’existe pas, et le pauvre Jean-Marie, acteur à l’oreille qui saigne, est le souffre-douleur de toute sa famille, levé avec les poules pour bêcher la betterave. Quand il lui faudra affronter les moqueries de son copain Bruno, fils de famille d’avocats à Aix et sorti tout droit du Conservatoire, devant toute la famille attablée autour du poulet en forme de cochon, Ferdinand compatit, et le public rit jaune. Entre le grand Bruno, Français de souche depuis les Croisades, Jean-Marie qui court de la ferme à l’Université de Louvain la Neuve en essuyant les moqueries et les claques sur la tête, et Ferdinand, acteur télévisé, amoureux de Clémence et de Saloura en même temps, qui compatit avec Jean-Marie mais discute fesses avec Bruno, le monde est grand. Et c’est ce monde, cette immense plaine de Belgique imbibée de pesticides et de baraques en plastique, mais aussi l’immensité de la plage du camp naturiste à Montalivet, avec ses chalets de bois rudimentaires et ces discussions d’Allemands autour de la cabine téléphonique, ventre en avant et fesses en arrière, que le récit de Caubère fait mouche, guette le détail, la souffrance, le ridicule. On rit, bien entendu, de ce miroir grossissant qui nous est tendu.
Ferdinand prince de la candeur
Philippe Caubère est un danseur des planches, il virevolte, avec ses mains comme des papillons qui volettent, ses jambes arc-boutées sur un tabouret ou debout, arpentant le plateau, passant d’un personnage à un autre, de Clémence qui se ronge les ongles des doigts de pied à Saloura et ses boites de couscous. Du Palais des Papes d’Avignon au camp naturiste qui devient sous sa faconde un camp de concentration nazi. Les scènes, les dialogues qu’il joue, corps en apesanteur, visage d’une mobilité saisissante, le font bondir d’est en ouest, de Clémence à Ariane, de Paris à Namur, petit poucet faussement innocent d’une réalité qui le dépasse car elle déborde le théâtre qu’il joue. De l’intime, l’attirance sexuelle pour une baleine orientale en anorak noir, à la nudité exposée dans le camps de naturiste, Caubère transcende l’univers du Théâtre du Soleil pour toucher d’autres mondes qui l’effraient, Montalivet au Sud Ouest ou Namur ou Nord Est, ou grouillent des êtres qui ne partagent pas les mêmes codes, les mêmes idées. La politique n’est plus très loin. Dans la « Recherche du temps perdu », Marcel Proust refait le monde, son monde aristocratique, tout seul dans sa chambre, univers mondains jaillis d’une encre céleste. Philippe Caubère refait le monde, les mondes, seul sur une scène par un trait de plume acérée et sarcastique, en gardant cette légèreté, cette grâce, et sans jamais tomber dans la caricature. Une performance remarquable et unique.
Hélène Kuttner
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