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Aaahh Bibi, l’étourdissant clown-mime show de Julien Cottereau

Myriem Hajoui 13 décembre 2019
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© Julien Ginoux

Treize ans après la création de son premier seul en scène Imagine-toi, couronné de nombreux prix et joué pas moins de 1 300 fois en France et à l’international, Julien Cottereau est toujours ce pierrot lunaire qui regarde le monde avec des yeux pétris d’enfance. Aaahh Bibi, son nouveau clown-mime show claque comme un ballet mimé étourdissant de rythme et de précision, en hommage au cirque traditionnel. Car Cottereau est avant tout un saltimbanque : par lui, l’univers circassien, celui des fêtes foraines d’antan s’impose comme le lieu idéal pour s’émouvoir, rire, frissonner, bousculer, démanteler les codes… et croire avec Bibi en un monde sans frontières. Ordonner l’impossible dans une société “pré-inventée” ; où les dés sont jetés et les règles figées.

Un clown-mime drôlement poétique

Quiconque connaît Julien Cottereau sait déjà que résumer ses spectacles relève de la gageure tant ils embrassent large. Aaahh Bibi tient à la fois du récit intime, de la méditation burlesque et d’une brocante des rêves et des métaphores. On se souvient l’avoir découvert sur scène en 2007. Il y avait cette dégaine d’éternel ado bien sûr, ce drôle de feutre mou, ce pantalon trop court, son sabir inimitable fait de bruitages, son univers foisonnant peuplé de monstres et de princesses mais surtout ces éclats de grâce, ces micro émotions d’une poésie folle. On se souvient aussi en être sorti flottant avec la délectable sensation que l’enfance nous revenait d’un coup dans les veines. Auréolé d’un bouche-à oreille viral, Imagine-toi, créé en 2006 au “off” d’Avignon, devint vite culte, raflant le Molière 2007 de la Révélation masculine et le prix SACD 2008, catégorie one man show. Plus de treize ans après et une longue tournée à l’étranger, la magie opère toujours. Artiste engagé pour Clowns sans frontières, celui qui fut le clown Eddy pour Saltimbanco au Cirque du Soleil, comédien pour Erick Zonca, Tonie Marshall (et compagnon de scène de Johnny Hallyday dans Le Paradis sur Terre de Tennessee Williams) réédite la performance de nous entraîner au fond d’un rêve entêtant en noir et blanc superbement façonné par son complice de toujours, Erwan Daphouars.

Attention, spectacle immersif !

On connaît le talent du duo Cottereau-Daphouars à distiller des atmosphères particulières. L’ouverture fracassante nous propulse d’emblée dans un suspense diffus qui rendrait jaloux Tim Burton : plongé dans une nuit noire, chahuté par la tempête, notre clown déboule sur scène, luttant péniblement contre des bourrasques de vent, trébuchant souvent avant de trouver refuge dans un lieu abandonné résonant de craquements inquiétants et d’autres sons bizarres. Très vite, il découvre sur le sol un gilet rouge de dompteur tandis que s’élève une voix fantomatique : “Aaahh Bibi”… “Papi ?” ; répond l’artiste interloqué ; ce sera là l’une de ses rares paroles pour signifier ce qui se joue ici : Bibi a retrouvé le cirque de Papi, enfilé le vieux gilet plein de poussière et mis son nez rouge. Un coup d’œil à cette première apparition d’un clown blême, obsédé et obsédant, luttant contre les éléments, vibrionnant encore et encore jusqu’à rendre fou et nous voilà cuits ! Impossible de détourner les yeux de ce bonhomme pénétrant dans un vieux cirque déserté à la recherche de son grand-père qui fut à l’époque le clown de ce lieu peuplé de saltimbanques et autres nomades de la piste. Un rire, une émotion, un frisson… Cottereau maîtrise l’art de faire de chaque scène à la fois une énigme et une séance d’hypnose. Notre homme-orchestre est aux commandes, sa quête échevelée peut commencer.

© Karine Letellier

Hommage au cirque d’antan et méditation sur la transmission

Rendre hommage au cirque traditionnel pour aller au-delà. Mû par une impérieuse nécessité, Cottereau s’inspire ici de son grand-père qui le surnommait Bibi. Le voilà donc dansant la gigue autour de cette figure aimée envolée vers un ailleurs, distillant savamment les pièces d’un puzzle épars, celui des zones d’ombre du passé. Parler des êtres qu’on aime et qui nous constituent, de la fin d’un monde, tel est le cœur palpitant de ce nouveau spectacle, réflexion intime exhaussée d’une méditation sur la mémoire et la transmission. Traversé par une énergie électrique, il impose son rythme et son imaginaire débridés avec une ingénue folie. Rehaussé par la mise en scène au cordeau d’Erwan Daphouars, son monde peuplé de fantômes s’invente avec bonheur au fil d’incroyables lubies imaginaires. Petit prince lunaire façon Harpo Marx, cet exceptionnel clown-mime bruiteur se révèle tout aussi inspiré lorsqu’il invite des spectateurs à le suivre dans ses histoires édifiantes. Cela pourrait être périlleux ou pénible mais c’est tout le contraire : ces séquences improvisées s’apprécient comme une injonction discrète au lâcher-prise et s’avèrent si drolatiques qu’on en redemande !

Un clown peut en cacher un autre

Certains risquent d’être déroutés car force est de reconnaître que Julien Cottereau n’est plus tout à fait le même. Si sa mécanique poétique et sa technique éblouissante font toujours merveille, on le découvre ici sous un autre déguisement, celui d’un rescapé d’une tempête qui a vu disparaître impuissant à en contrarier la chute, son papi et tout ce qui faisait la beauté de la piste d’hier. Ce retour vers le cirque du passé s’avère particulièrement chargé en émotion, plus heurté que ses précédents spectacles, d’une frénésie frôlant parfois l’hyperventilation à force de bruitages incessants. Mais pour les fans de la première heure, l’expérience restera unique. Sur ce plateau nu, notre clown-mime-comédien aura incarné tour à tour tous les fantômes du cirque, convoqué toutes les traditionnelles disciplines circassiennes (dompteur de fauves, danseuse funambule, virtuose du diabolo, cracheur de feu) et dévoilé sa vision d’un cirque idéaliste et loufdingue. Impossible de ne pas en sortir secoué et admiratif.

Myriem Hajoui

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