Christian Bordeleau – A toi pour toujours, ta Marie-Lou
À toi, pour toujours, ta Marie-Lou est joué à Paris. C’est une aubaine Excellent prétexte pour aller interroger Christian Bordeleau, metteur en scène dont la constance pour faire connaître l’œuvre du dramaturge Michel Tremblay mérite d’être soulignée.
Christian Bordeleau, né au Québec, où il a joué à la télévision et au théâtre (TPQ, Quat’sous), habite Paris depuis bientôt vingt ans pour exercer le métier de metteur en scène et d’acteur. Fidèle metteur en scène de Michel Tremblay, auteur emblématique au Québec, qu’il contribue à faire connaître des Français, il fait partie de cette race de metteurs en scène exigeants. A l’instar de ce qu’a fait Guy Cambreleng à Paris pour le théâtre polonais dans les années 70, Christian Bordeleau inscrit le théâtre québécois dans le paysage des théâtres parisiens.
De Michel Tremblay, il nous dit qu’il est le Victor Hugo du Canada francophone. On peut constater en effet que mis à part Carole Fréchette, Michel Marc Bouchard et Michel Tremblay peu de théâtres privés parisiens reçoivent les dramaturges québécois. À toi, pour toujours, ta Marie-Lou est une première pour Christian Bordeleau et c’est une première en France.
Cette œuvre emblématique, A toi pour toujours, ta Marie-Lou, cette comédie, ce drame humain est une oeuvre de jeunesse créée en 1970 qui a pourtant fait le tour du monde. Tremblay aime raconter le quotidien des petites gens ainsi que dans son œuvre Les Belles Sœurs peuplée de personnages tragiques et sensibles Michel Tremblay explore l’intériorité de ses familles fondatrices et laisse la porte ouverte au drame. On s’installe dans le dépouillement, auprès d’un quatuor déchiré et déchirant.
Est-ce à dire que Michel Tremblay serait un auteur pessimiste ?
Christian Bordeleau : Je ne le ressens pas comme tel. Voilà un auteur dramatique qui a toujours un projet en tête et applique des théorèmes personnels sur le destin : peut-on s’en détacher ? Comment s’en extraire ? Tremblay a cette tendance de reprendre les auteurs grecs par une approche identique de son sujet en deux ou trois répliques, quasi à l’emporte-pièce, mais pour lui contrairement aux auteurs grecs, le destin n’est pas inexorable.
Vous l’avez rencontré ?
Oui, en 1980, je l’avais interviewé à la radio et depuis nous nous sommes vus assez souvent d’autant que j’ai commencé à mettre ses textes en scène dès 1988.
Le public français comprend-il les tournures et expressions propres aux Québécois ?
C’est un problème d’adaptation au public et non point d’adaptation au texte original. Je dois proposer un texte qui reste toujours fidèle à son auteur. Conserver son style, sa profondeur, ses élans. Comme les professionnels français sont « coincés » par la langue, je dois affiner sans trahir. Cependant, je m’interdis surtout de gommer la couleur de la langue. Ras le bol des Québécois qui parlent comme des Parisiens. Je dois affûter les textes qui ne présentent pas de problèmes majeurs pour les rendre audibles du public. C’est valable également pour les comédiens qui ne pourront les interpréter qu’à cette condition. Imaginez que Tenessee Williams soit joué dans la langue spécifique de la Nouvelle-Orléans ? L’accent propre au milieu où évoluent les personnages créés par Tremblay, gens du peuple, représente un obstacle pour les productions francophones à l’extérieur du Canada. Rien à voir avec les productions en langues étrangères où la traduction s’impose avec le goût et la couleur qu’attend le public. Il me faut réapproprier le milieu social dépeint dans le texte d’origine.
Vous nous dîtes qu’ils sont coincés par la langue, les professionnels français ?
C’est certain ! Pourquoi faut-il des années aux producteurs français pour s’engager sur le théâtre francophone du Québec ? Trois ans au minimum comme pour Les Belles sœurs ? Alors que j’estime que le public français est très ouvert, qu’il sait apprécier la langue québécoise. C’est assez récent cette volonté nouvelle de prendre des risques. Pour La Duchesse de Langeais, présentée en décembre 2002, je n’avais pas la même perception du public mais déjà à l’époque je n’ai rien voulu toucher du texte, à quelques mots près qui touchent à l’ambivalence du français parlé au Québec car je considère que la langue populaire de Tremblay ne pose plus de problèmes spécifiques aux spectateurs français. Quand j’avais monté Les Anciennes Odeurs du même Tremblay presque vingt ans avant, j’avais fait l’inverse. C’est une évolution !
Toujours au chapitre du théâtre dépouillé. Fallait-il un décor minimaliste ?
Aurais-je plus de budget que je n’aurais rien ajouté sauf éventuellement une photo, genre trompe œil, représentant la cuisine dans sa perspective.
On constate que vos mises en scène ne se voient pas, ce qui semble être une qualité…
Moi, j’utilise les acteurs pour ce qu’ils donnent d’expression humaine. Mon école, c’est mettre en scène un acteur qui raconte une histoire.
Revenons à Marie-Lou, on ne peut pas dire que les protagonistes s’en sortent de leur condition paupérisée. Il n’y a pas de salut pour les très pauvres ?
Détrompez-vous. Ce spectacle est un manifeste contre l’ignorance et donc contre la pauvreté. Marie le dit à son insu en vivant les conséquences de l’ignorance. Préparée qu’elle était à être mariée par sa propre mère. On peut leur en vouloir d’abandonner leur fille à l’ignorance. moi, je lui en veux, c’est comme ça ! Bref, rassurons-nous, Carmen s’en sortira. Elle réussira car elle plongera dans l’Art. Or, l’art est une ouverture au monde. Et Carmen le crie à sa sœur : « Tu parles comme une femme d’église. Ce qui dépasse ta porte te semble dangereux » Puis, elle lui assène : « Tu préfères vivre dans l’ignorance » Tremblay qui reçoit un écho international nous dit que l’art peut éveiller les consciences. Il est un instantané sur le monde qui nous raconte que l’être humain n’a pas changé sa façon de reproduire des travers humains. Méfiez-vous, braves gens, car les avares et les tartuffes sont toujours présents !
Dans l’avenir, vous continuerez à Paris avec Michel Tremblay ?
Absolument. En 2012, au Théâtre du Rond-Point pour Les Belles Sœurs. Mais pour l’heure, tout se passe à la Folie Théâtre et c’est encore jusqu’en janvier A toi pour toujours, ta Marie-Lou
Patrick DuCome
A toi pour toujours, ta Marie-Lou
De Michel Tremblay
Mise en scène de Christian Bordeleau
Avec Cécile Magnet, Yves Collignon, Sophie Parel et Marie Mainchin.
Du 3 novembre 2011 au 8 janvier 2012
La Folie Théâtre
6, rue de la Folie-Méricourt
75011 Paris
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