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“A quiet place” : le dernier opéra de Leonard Bernstein enfin présenté à Garnier

©Bernd-Uhlig

Le compositeur de West Side Story, musicien prodigieux et artiste total, avait composé dans les années 50 un opéra en un acte « Trouble in Tahiti » dont « A quiet place » devait trente ans après constituer la deuxième partie. Le chef canadien Ken Nagano a oeuvré avec Garth Edwin Sunderland pour adapter une version qui n’avait été donnée qu’en concert à Vienne, mise en scène de manière cinématographique par Krzysztof Warlikowski. Une création mondiale qui constitue déjà une réussite totale.

Accident

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Il arrive que la rencontre entre une oeuvre, un chef d’orchestre, des chanteurs et un metteur en scène atteigne la perfection. C’est le cas aujourd’hui avec la version scénique proposée par une star du théâtre mondial, Krzysztof Warlikowski, de cette oeuvre de Bernstein composée dans les années 80, sur un livret de Stephen Wadworth et qui s’apparente aux pièces de Tennessee Williams dans la vision familiale totalement névrotique qu’elle dépeint. Plongeant dans le cinéma de David Lynch ou de Tarantino, le spectacle début par une projection vidéo en noir, blanc et rouge fuchsia de l’accident de voiture de Dinah (Johanna Wokalek) qui est la mère de famille et dont on évoque les pensées suicidaires. 

Passé ce préambule glaçant et romanesque à souhait signé par la vidéaste Kamil Polak, l’enterrement de Dynah peut avoir lieu dans un immense espace de jeu que le metteur en scène affectionne, éclairé par sa complice Felice Ross et conçu par Malgorzata Szczęsniak, avec des protagonistes assis face public. Le mari éploré, auquel la basse Russel Braun prête une présence dramatique et vocale saisissante, le directeur funéraire superbement incarné par Colin Judson, la Susie extravertie d’Hélène Schneiderman, l’extraordinaire Dede de Claudia Boyle, soprano au tempérament de feu qui donne à son héroïne explosive une assurance vocale et une énergie démoniaque.

Casting parfait

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Il faut noter la qualité vocale et dramatique, la puissance d’incarnation de ces personnages qui sous la férule du metteur en scène prennent une épaisseur entre fantaisie joyeuse et folie dangereuse. L’irruption de Junior, le petit frangin homosexuel et rejeté par la tribu, incarné par le baryton canadien Gordon Bintner, en boots de cow-boy et tenue bleue électrique, fait fureur, voix claire et mélancolique, jeu naturaliste et ironie à fleur de peau. Avec Frédéric Antoun, le mari de Dede et petit ami de Junior, ils forment un duo contrasté à la passion sauvage que l’on retrouve dans le cinéma américain des années 80, traversant avec la femme de coeur, Dede, des espaces domestiques de villas californiennes où le soleil et l’alcool coulent à flot, faisant vaciller la bonne vieille morale chrétienne. 

©Bernd-Uhlig

Dans la fosse, l’orchestre de l’Opéra de Paris fait sonner ses cuivres jazzy, ses cordes aux influences mitleuropa inspirées des symphonies de Mahler et des concertos de Stravinsky, mélangeant les percussions des big-bands américains et les rythmes de jazz blanc à la manière de George Gershwin. Un patchwork, un puzzle qui assemble, superpose, métisse les bases du classique à celles de la modernité, du tonal et de l’atonal, du liturgique et du païen pour coller aux émotions. On passe du drame mélo à la comédie absurde, et les chanteurs subliment la partition avec dextérité sous la baguette vive, d’une précision impressionnante, du chef Ken Nagano. On vous l’aura dit, c’est une réussite.

Hélène Kuttner




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