À l’Opéra de Strasbourg, une nouvelle Giselle est née
À la tête du Ballet du Rhin depuis 2017, Bruno Bouché a plutôt privilégié jusqu’à présent dans sa programmation des créations inspirées d’œuvres contemporaines. En ce début d’année, il a choisi la relecture de Martin Chaix de Giselle, œuvre culte du répertoire classique que le chorégraphe a souhaité ancrer dans notre époque.
Qu’aurait-fait Giselle si elle avait vécu en 2023 ? Serait-elle morte de douleur d’avoir été trompée par celui qu’elle aimait à la folie ? Martin Chaix nous propose sa réponse.
Le ballet s’ouvre sur un très beau solo où Giselle, seule, se livre à sa passion de la danse. Les mouvements, gracieux, faits de tours et de voltes-faces trahissent outre une sensibilité certaine, une recherche d’absolu. Après ce prologue, place au premier acte qui se déroule dans ce qui semble être le lieu de rencontre d’une jeunesse élégante – costume gris pour les hommes, robe de cocktail pour les femmes -. Entre deux scènes d’ensemble, Albrecht, dandy dragueur, enchaine les conquêtes. Les filles se chamaillent à cause de lui et Bathilde, la fiancée trompée, tarde à comprendre ce qui se passe autour d’elle. Avec sa robe blanche romantique, Giselle ne fait pas partie de ce monde élégant et hypocrite dont son ami(e) Hilarion cherche d’ailleurs à l’éloigner. Grâce à la danse expressive de Martin Chaix, l’intrigue est lisible ; pourtant la répétition de scènes – entrées et sorties de Giselle, pas de deux d’Albrecht avec ses conquêtes et ensembles – donne le sentiment que l’histoire n’avance pas. L’acte 1 s’achève sur la sortie – fuite ? – de Giselle, Albrecht et Bathilde de cette ambiance délétère.
Comme dans la version historique, l’acte 2 se déroule au clair de lune seulement, ici, ni willis ni tutus vaporeux mais des blousons noirs et du cuir ; Myrtha, leur chef, figure tutélaire de la vengeance, a des allures de reine des punks. La bande adopte Giselle. Quand arrive Bathilde, les retrouvailles sont électriques mais finaudes, les femmes trompées pactisent, scellant ainsi le destin du séducteur. Au XXIe siècle, la Giselle naïve et sincère ne sera pas une victime.
Pour s’affranchir du poids de la référence au classique du répertoire, Martin Chaix a souhaité ne pas reprendre intégralement la musique d’Adolphe Adam mais conserver quelques passages en intercalant des compositions de Louise Farrenc, compositrice romantique du XIXe siècle oubliée.
Danseur à l’Opéra de Paris puis soliste au Ballet de Leipzig et au Ballet Am Rhein sous la direction de Martin Schläpfer – Actuel directeur du Ballet de Vienne -, Martin Chaix développe un vocabulaire chorégraphique fait de danse académique et néoclassique à l’anglo-saxonne. Alliant excellence technique, musicalité et théâtralité, cette gestuelle sert parfaitement ce type de ballet narratif. Ana Enriquez, Giselle délicate et forte, douce et pleine d’énergie, fait montre d’une grande finesse dans ses mouvements de bras et de jambes. Avery Reiners, en Albrecht, a les lignes d’un prince et une belle amplitude dans les mouvements, à la hauteur du tombeur sans scrupule qu’il incarne. Les héros sont bien épaulés par les solistes et le corps de ballet, particulièrement à l’aise dans cette chorégraphie.
Nouvelle intrigue, nouvel arrangement musical, c’est en fait un nouveau ballet qu’il nous est donné de voir. Il est parfois difficile d’entrer pleinement dans l’histoire d’une œuvre, d’appréhender les caractères des personnages sans avoir besoin de les remettre dans leur contexte historique. Giselle de Martin Chaix est un véritable ballet contemporain au sens où il raconte une histoire du 21ème siècle avec des caractères qui nous sont proches. Il est l’occasion de brosser un beau portrait de femme, fière et tendre, libre d’aimer, de pardonner, de congédier… en résumé de choisir son destin.
Stéphanie Nègre
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