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À l’abordage : une fête de l’amour et du théâtre

Hélène Kuttner 15 septembre 2020
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© Morgane Delfosse

Clément Poirée, l’heureux directeur du Théâtre de la Tempête, monte À l’abordage, une pièce de la romancière Emmanuelle Bayamack-Tam, inspirée du Triomphe de l’amour de Marivaux. À l’assaut d’une petite communauté vouée à l’abstinence morale et sexuelle, la toute jeune Sasha va faire bouger les lignes en ensorcelant tout le monde. Comédiens géniaux, mise en scène surprenante, scénographie poétique, voici une création totalement renversante.

© Morgane Delfosse

Le jardin d’Eden ?

Mais qui est ce garçon au corps doré, alangui dans une clairière, dont le regard semble rêver ou divaguer vers les nuages ? La lumière se tamise (lumières Guillaume Tesson), quelques notes au son fantastique emplissent l’espace (musique de Stéphanie Gilbert), et nous découvrons ce sensuel adolescent dans une boite transparente (décor d’Erwan Creff) alors que deux jeunes filles, Sasha (Louise Grinberg) et Carlie (Elsa Guedj) se repaissent en gloussant de ce spectacle merveilleux. On est au cinéma, du temps de Méliès, car de tous cotés de cette boite à jouer la vie circule et le théâtre grouille. On apprend donc que Kinbote (Bruno Blairet), le maître des lieux, impose une discipline de fer à toute sa tribu qui s’apparente plus à une secte redoutable qu’à une famille bisounours. Et que chaque transgression est passible d’un bannissement définitif.

© Morgane Delfosse

Flexi-sexualité

C’est que l’auteure Emmanuelle Bayamack-Tam s’amuse follement, et nous aussi, en dressant un portrait renversant d’humour de ces jeunes -et moins jeunes- retraités du monde qui le refusent en s’imposant un idéal de pureté encore plus dangereux et fatal. C’est l’intrigue de Marivaux qui, grâce à son lot de travestissements et de mensonges, parvient à faire de la Princesse Léonide un travesti victorieux qui conquiert en Dom Juan les âmes les plus rétives. Sasha, corps androgyne et coupe de garçon, multiplie les actions et fomente des discours au charme envoûtant, avec son amie Carlie qui fait très vite tomber son masque et ses cheveux. Théodora, la soeur de Kinbote (Sandy Boizard) tiendra un moment l’assaut sous ses jupes de bure qu’elle transformera lentement en éclatante robe de noces blanches, et le pauvre Dimas (Joseph Fourez), plus sombre que la terre qu’il jardine, tremblera bientôt comme un damné sous les piqûres irradiantes de la passion.

© Morgane Delfosse

Acteurs formidables

Il faudrait les citer tous, François Chary qui fait d’Arlequin un gymnaste survolté, rusé et rapide, chargé de tous les secrets alors qu’il passe ses nuits en drag-queen des boites de la grande ville, et David Guez, qui incarne le héros tant convoité, dont le prénom, Ayden, fait tant penser à Adam, le premier homme, celui qui fait tout basculer ! Clément Poirée parvient à diriger sa petite troupe en en extrayant le meilleur, jouant sur le tempo qui parfois s’étire ou s’accélère, nous laissant savourer un texte aux petits oignons qui badine vers la communication virtuelle, Snapchat ou Instagram, se joue des travers de l’époque en mélangeant les genres, le cru et le bio, la viande ou le sans gluten, l’abstinence ou la débauche, la morale répressive ou la liberté narcissique. Une véritable fête du langage, du jeu, et donc du théâtre.

Hélène Kuttner

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