A La Villette, la « Giselle » rebelle de Dada Masilo
Dada Masilo ne désarme pas : après avoir envoyé ses tempêtes dansées souffler des classiques comme « Carmen » ou « Le Lac des Cygnes », elle prête cette fois son énergie rebelle à… Giselle ! La plus célèbre héroïne tragique du répertoire romantique se rebiffe et revendique le droit à la vengeance !
« Giselle » est la dernière création de Dada Masilo, et une fois de plus elle revisite le répertoire classique occidental. Cette Sud-Africaine à l’énergie explosive trouve un fois de plus un rôle-titre qu’elle interprète comme personne ne l’avait osé avant elle. Les libertés qu’elle prend avec les lectures orthodoxes des ballets européens ne sont jamais gratuites, mais en lien avec des questionnements brulants qui secouent l’Afrique du Sud et même nos sociétés européennes.
Depuis son « Roméo et Juliette », créé il y a dix ans, Masilo surprend nos œuvres romantiques avec son énergie explosive et sa virulence corrosive. Elle nous dit ainsi que Carmen, Odile (celle du « Lac des Cygnes ») ou aujourd’hui Giselle appartiennent au patrimoine de l’humanité et sont bien vivantes, voire imprévisibles. C’est par ailleurs dans une référence toute aussi singulière à Ophélie dans « Hamlet » qu’on l’avait découverte en France en tant qu’héritière de la célèbre Robyn Orlin. Mais Masilo a su créer son propre univers, où l’énergie déferle au service d’une virtuosité chorégraphique exceptionnelle.
Dans l’histoire originelle imaginée en 1841 par Jean Coralli et Jules Perrot, Giselle est d’abord abusée et trahie par son Albrecht bien-aimé, et ensuite condamnée moralement pour avoir trop dansé. Elle doit ainsi se transformer en Wili, un esprit féminin et nocturne pour lequel la danse devient un supplice éternel. Ce message moralisateur reflète bien le XIXe siècle et le rôle que la société accordait alors à la femme. Masilo, qui lutte pour l’égalité de droits pour tout.e.s trouve donc dans « Giselle » un terrain de prédilection où elle peut défier la rigidité des normes sociétales et esthétiques.
Sa vision de « Giselle » procède par inversions. La musique composée par le Sud-Africain Philip Miller part de la partition originale d’Adolphe Adam, mais la confronte aux percussions africaines. Giselle n’est plus une victime, mais porteuse de révolte et part tuer Albrecht de façon rituelle. Pour ce faire, elle s’allie aux Wilis qui peuvent ici être également masculins, et à Myrtha, leur reine. Et il est vrai que ces fantômes qui s’accordent merveilleusement à toute mythologie africaine.
L’idée d’un corps de ballet n’est ici pas jetée par-dessus bord, mais au contraire dynamisée par des gestes toujours vifs et explosifs. Et comme toujours, la troupe de danseurs sud-africains explose de puissance savamment modulée. « Giselle » est une œuvre de grande maturité, qui met en évidence les grandes émotions de cette histoire: L’amour, le désespoir, la colère, le deuil, le chagrin et la fureur.
Thomas Hahn
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