À l’Opéra Garnier, Benjamin Millepied passe le ballet 3.0
Millepied/Robbins/Balanchine et 20 danseurs pour le XXe siècle de Boris Charmatz Avec le Ballet de l’Opéra de Paris Jusqu’au 11 octobre 2015 Durée : 2h et 2h20 Opéra Garnier M° Opéra |
C’est du sérieux ! Cet homme-là s’attèle à réformer la danse à l’Opéra de Paris, et plus encore. Avec Benjamin Millepied, le Ballet de l’Opéra est de nouveau dirigé par un chorégraphe qui incarne pleinement son époque, en créant Clear, loud, bright, forward. En même temps, Boris Charmatz fait revivre l’histoire de la danse au XXe siècle, un happening chorégraphique permettant au public de circuler dans l’Opéra Garnier. Avec Rudolf Noureev, le Ballet de l’Opéra changea d’âme et entra dans la modernité à partir de 1983. Aujourd’hui, Benjamin Millepied lui emboîte le pas. Avec Clear, loud, bright, forward, il crée un ballet qui capte notre rapport à l’espace, à la vitesse, à l’autre. Cette pièce de 39 minutes ne raconte aucune histoire, si ce n’est celle de la danse classique qui fait peau neuve, portée par une nouvelle génération d’interprètes au sein du Ballet de l’Opéra. La révolution est en marche… Tout est symbolique dans ce programme Millepied/Robbins/Balanchine en Salle Garnier. En ouvrant la soirée avec sa création, le nouveau directeur de la danse présente une pièce homogène, rapide, fluide et passionnante, où les états émotionnels changent aussi vite que les danseurs passent d’un duo à une scène d’ensemble et vice versa. Clear, loud, bright, forward a autant d’allant que son titre. Mais pas de danseur étoile ! Un ballet sans hiérarchie aucune ! “Pour ce ballet, je n’ai voulu travailler qu’avec des jeunes danseurs du corps de ballet, les stars de demain”, affirme Benjamin Millepied. Aussi voyons-nous une vraie communauté sur scène, un ballet à haute intensité sans la moindre sortie de scène ! Pendant les duos ou trios, le reste des seize s’assoit sur le côté, prêt à revenir à la charge d’un instant à l’autre. “Le ballet possède des possibilités infinies pour se renouveler, tout comme la musique classique ou l’architecture”, affirme encore Millepied. Il en livre la preuve avec une fraîcheur qui a de quoi renouveler l’image de la danse classique, sans baisser les exigences techniques. Au contraire, les portés sont ici si surprenants dans leur architecture qu’on les apparente volontiers à la danse contact et tous les exécutent avec un naturel qui nous transporte dans une sorte de rêve. Tout le ballet du XXe siècle a été digéré pour donner ce Clear, loud, bright, forward. De l’enfance vers l’âge adulte ? Millepied et les danseurs savent définir les ambiances et les états émotionnels avec fougue et précision, pour les habiter et les faire vivre dans l’énergie du XXIe siècle. Clear, loud, bright, forward commence dans une ambiance pétillante de légèreté et de bonheur, pour se faire de plus en plus romantique et finalement dramatique. La pièce montre une communauté qui vit des aventures qui sont peut-être purement imaginaires, mais qui peuvent aussi tracer le chemin de l’enfance vers l’âge adulte. Grâce à la complicité de Millepied avec le compositeur Nico Muhly, musique et danse coulent de source, comme si les deux avaient travaillé dans un échange permanent. La scénographie, entièrement faite de projections graphiques mobiles (signées United Visual Artists & Lucy Carter) et de trois lampes pouvant penduler de façon joyeuse ou menaçante, affiche la même complexité dans l’épure que la chorégraphie. Le dialogue de Clear, loud, bright, forward avec Jerome Robbins et la virtuosité requise par George Balanchine est d’une évidence absolue. Trop, peut-être. Opus 19/The Dreamer de Robbins qui entre au répertoire du Ballet de l’Opéra commence dans la même ambiance onirique que la création de Millepied. Mais le rêveur, dansé par Mikhail Barychnikov himself à la création en 1979, une sorte de Pierrot romantique, paraît soudainement lourd, lent et figé dans des structures chorégraphiques qui font passer le geste avant la personnalité des danseurs, sauf bien sûr pour le couple principal. On prend alors toute la mesure de la révolution Millepied. Liberté, proximité, diversité Mais le vrai choc se produit en début de soirée, quand Boris Charmatz redéfinit le rapport entre danseurs et spectateurs ! “20 danseurs pour le XXe siècle” est un événement jamais vu à l’Opéra de Paris. Toutes les parties librement accessibles du Palais Garnier sont investies par les danseurs, qui interprètent des extraits d’œuvres mythiques, de music-hall, de hip-hop, de danse expressionniste, de butô et tant d’autres. Il y a tant à voir pendant les deux heures qu’il faudrait venir trois fois pour en faire le tour complet. Un mot : liberté ! Le bonheur des spectateurs est palpable et les danseurs aussi sont visiblement enchantés de pouvoir s’adresser directement à leur public. Répartis sur trois étages, on danse dans le Grand Foyer, au bar, dans le Grand Escalier, dans la Rotonde et même sur le balcon. Les danseurs annoncent et expliquent les œuvres ou cultures chorégraphiques qu’ils interprètent. Et voilà qu’une danseuse peut vous fixer des yeux et vous adresser un geste chorégraphique le plus directement, que vous pouvez dialoguer avec elle entre deux danses, capter des instants et des ambiances ou rester sur un lieu pour suivre un interprète à travers différentes danses. Le concept de “20 danseurs pour le XXe siècle” a été développé par Boris Charmatz en 2012 pour introduire la danse dans des lieux inattendus. Une fête de la danse Au Palais Garnier s’opère un changement de nature différente. Le marbre cesse d’être un écrin cérémonial. Deux heures durant, il est habité par la danse qui le traverse en abondance. Pendant qu’on suit un extrait ou une démonstration, on entend les applaudissements ou les musiques d’en face ou de l’étage au-dessus ou d’ailleurs. Ce qui n’est pas gênant mais contribue à cette ambiance de liberté et de fête. Oui, ce happening est une invitation à la fête. Alors, pourquoi ne pas en proposer un bout, en lever de rideau avant chaque soirée de ballet, voire créer de petites pièces spécialement pour certains lieux de l’Opéra ? L’esprit Millepied inclut cependant une autre facette, celle des arts visuels. Aussi, l’Opéra de Paris vient de lancer “La 3e Scène”, une plateforme numérique où l’on peut découvrir des œuvres créées spécialement pour cette scène numérique. “La 3e Scène” est ouverte à toutes les disciplines, mais les qualités visuelles de l’art chorégraphique font de la danse un invité de choix qui se taille une large part de l’écran, et certains films ont été réalisés par Benjamin Millepied en personne ! (www.operadeparis.fr/3e-scene) Aussi, l’évolution chorégraphique sur scène, l’approche du public et l’entrée dans une nouvelle ère artistique avancent de façon cohérente, en bonne intelligence. Thomas Hahn [Photos © Anne Ray, Agathe Poupeney, Thomas Hahn] |
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