À June Events, la danse est une fête !
Le festival créé par Carolyn Carlson fête sa 12e édition. La musique y joue un rôle toujours aussi essentiel, du rock au contemporain, de l’expérimental à la techno festive, du concert chorégraphique de Kubilaï Khan au spectacle de clôture avec dance floor, au Château de Vincennes, orchestré par Tatiana Julien…
Quatre univers musicaux au Théâtre de l’Aquarium…
Le lien entre la danse et la musique, dans sa dimension charnelle et mouvementée, a toujours été une ligne de force à June Events. On retrouve bien sûr cet axe en pleine vie dans l’édition 2018. Au Théâtre de l’Aquarium, l’un des fiefs de June Events, le concert chorégraphique prend des formes très contrastées. D’une part, les musiques amplifiées, d’autre part, le piano et le clavecin !
La compagnie Kubilai Khan Investigations, menée par Franck Micheletti, s’associe au groupe rock anglais Mugstar dans Volt(s) face, dans un concert chorégraphique de haute densité. Dans un registre très différent, la nouvelle création de Myriam Gourfink, comme à son habitude accompagnée par Kaspar T. Toeplitz qui secoue de l’intérieur ce travail sur le souffle et les micro-mouvements intérieurs. Évaporé, une pièce pour cinq danseuses, deux musiciens et un vidéaste, intègre l’image, en interaction live avec la musique, faite de basse électrique, compositions électroniques et percussions.
Mais l’acoustique n’est pas forcément moins contemporaine ! Ayelen Parolin, virtuose chorégraphique de la dissonance, invite la compositrice et pianiste Lea Petra à accompagner – voire à harceler avec ses sons sans répit – quatre danseurs qui doivent tenter de former et préserver une harmonie collective, alors que la pression ambiante qui pousse chacun(e) à la productivité et à l’épuisement soumet la danse et les corps à un stress-test chorégraphique où l’on pousse chaque geste vers une dépense et une aliénation maximales.
Et finalement, Loïc Touzé, au cœur d’un portrait fait des spectacles, conférences et projection de film englobant la totalité de son parcours d’artiste chorégraphique, présente lui aussi sa création 2018, intitulée Forme simple. Il s’agit d’un trio dansé sur les Variations Goldberg de Bach, interprétées sur scène, au clavecin, par Madeleine Fourrier.
Danse-musique-art contemporain
Deux propositions viennent dialoguer avec l’univers de la graphiste et photographe Batia Suter, présentée au BAL, lieu d’exposition dédié à l’image, situé derrière la place de Clichy. C’est dans son exposition intitulée Radial grammar qu’on verra un Rituel pour une géographie sensible, imaginé par Julie Nioche et le duo Filiz Sizanli/Mustafa Kaplan. Ce rituel contemporain qui crée le partage avec son public – on en ignore encore la dimension participative – est accompagné en musique par Alexandre Meyer.
La seconde intervention vint de la plasticienne et danseuse Célia Gondol qui a rencontré, au Brésil, les chanteurs “repentista” et leurs joutes improvisées. Elle tire, dans O Univero nu, un trio chanté chorégraphique, un “chœur performé”, inspiré de la poésie populaire de la région Nordeste du Brésil.
À l’Atelier de Paris, quartier général du festival et lieu de pratique, d’atelier, de résidences et de spectacles, également connu comme le Centre de Développement Chorégraphique National (CDCN), la fusion danse-musique se double d’une dimension plastique dans The Goldfish and the inner tube, un duo performatif et musical de Ruth Childs (la nièce de la célèbre Lucinda Childs) et du musicien-performer Stéphane Vecchione, où Childs doit inscrire ses actions chorégraphiques dans un paysage fait de chambres à air de camion, de fils et de sacs poubelle, non sans clins d’œil à nos habitudes de déverser du plastique dans la nature pour nous racheter avec nos tentatives de recyclage.
Poésie et architecture
Carolyn Carlson ne se définit pas (uniquement) comme chorégraphe, mais (aussi) comme poète visuelle. Pour cette édition de June Events, elle met en jeu son corps et ses propres poèmes dans un Poetry event, où tout se croise sur une même longueur d’ondes, celles du saxophoniste improvisateur Guillaume Perret. Elle danse ici au Théâtre du Soleil avec Juha Marsalo, autant que dans sa création All that falls, un trio avec Marsalo et Céline Maufroid. La grande dame et fondatrice de June Events sera donc en scène dans un programme double, porté par sa gestuelle hors du temps. Et présente, en même temps, une exposition de ses calligraphies, à la Galerie Agnès B., du 7 au 14 juin.
C’est sur un autre grand événement, absolument unique, que June Events va se terminer au Château de Vincennes. Tatiana Julien y crée, dans le cadre de “Monuments en Mouvement”, un concert dansé immersif et participatif. N’y danseront pas seulement les neuf interprètes professionnels et les 50 amateurs choisis pour cette soirée. La soirée se terminera sur un DJ set avec le compositeur Axel Rigaud, et tout le monde sera invité à danser.
Danses urbaines
Hip-hop et krump vont ponctuer cette édition. Le solo Cellule de Nach remporte le succès qu’il mérite. La krumpeuse y parle de sa vie et ses désirs, avec une franchise et une acuité qui impressionnent. C’est autant un acte de balance entre des espoirs et des désillusions que dans Fausse couche de Nejib Khalfallah. Le B-Boy tunisien évoque dans sa pièce pour huit danseurs, présentée dans le cadre du Printemps de la danse arabe, ce regard sur les émotions qu’éprouvent les Tunisiens quand les espoirs de la Révolution du Jasmin sont mis à l’épreuve des mauvais esprits qui violentent l’idée d’un avenir radieux.
June Events propose rarement des séries, mais l’une d’elles appartient à Saïdo Lehlou et son excellent quintet masculin Wild Cat, où la danse break se fait souple, féline et pleine de suspense. On le verra dans quatre lieux, en extérieur, dans l’environnement urbain ou dans un parc.
Racines contemporaines
La danse contemporaine a des racines et on en découvre encore des parties cachées. Jérôme Brabant et Maud Pizon proposent une conférence dansée, accompagnée au piano par Aurélien Richard, sur Ruth Saint-Denis et Ted Shawn. Ils en explorent les danses du début du XXe siècle et les récitals, à partir de films d’époque, de partitions et de reconstructions vidéo. Dans A Taste of Ted, ils se penchent sur cette partie de l’histoire de la danse, en dépassant une idée de reconstruction ou de conférence. Quand ils se glissent dans les figures de l’époque, ils s’en drapent de costumes et parures créés par l’extravagant La Bourette et réinventent le répertoire avec leur regard d’aujourd’hui, forcément décalé.
Thomas Lebrun se penche sur son propre parcours de créateur, dans Another look at memory. Et bien sûr que Carolyn Carlson évoque à elle seule l’histoire de la danse, quand elle apparaît sur un plateau. Comme Jean Guizerix, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, où il interpréta Merce Cunningham alors que Carlson y devint étoile-chorégraphe, présente à June Events son duo Parallèles avec Raphaël Cottin, élève de Guizerix au CNSMD de Paris. La mémoire de la danse trouve également sa place dans l’exposition photographique de Patrick Berger et bien sûr avec Loïc Touzé, notamment dans sa conférence dansée autobiographique.
En résumé, voilà donc un festival qui, avec trente compagnies à l’affiche, joue désormais dans la première ligue des festivals nationaux et internationaux. Et affiche une souplesse et une diversité des formats, une richesse des réflexions et des croisements artistiques qui constituent une danse-monde, une véritable planète chorégraphique, avec des expositions, des installations, des formules déambulatoires, des rencontres, des conférences dansées, des croisements entre la danse et les arts plastiques…
Thomas Hahn
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