7 minutes : 11 femmes en colère
C’est un spectacle brûlant d’intensité qui nous est présenté par la Comédie Française dans la salle du Vieux-Colombier. Ecrit pour onze comédiennes de tous âges, 7 minutes de l’auteur italien Stefano Massini, qui nous avait régalé avec La Saga des Lehmann’s Brothers, plonge dans les affres d’un vote pour sauver une usine en passe d’être rachetée. Maëlle Poésy, nouvelle directrice du CDN de Dijon-Bourgogne, nous fait vivre l’histoire en temps réel. Comme un coup de poing.
Dilemme
Dix ouvrières, de la plus ancienne à la nouvelle jeune recrue, attendent fébrilement le résultat d’une réunion de « cravates » -dirigeants masculins en costume-cravate- avec l’une d’entre-elles qui fait office de porte-parole. Le décor représente une salle de stockage qui pourrait aussi être une salle de passage, où les femmes prennent leur mal en patience en épiant la porte d’où surgira Blanche, chargée de leur délivrer la sentence. Il est ici question de survie, de travail, pour ces ouvrières qui représentent elles-mêmes les 200 employées de l’usine. On fait connaissance, on se jauge, on plaisante à moitié, évaluant chez l’autre la part d’ancienneté, de complicité avec Blanche, mais aussi la part de courage, de pragmatisme, de peur, face au diktat de l’industrie. Les heures passent, la tension monte, et on commence à perdre patience quant Blanche surgit avec une nouvelle plutôt rassurante, mais qui contient, dans une lettre adressée à chacune, la condition de leur survie dans l’usine. Qu’il s’agira de mettre au vote.
La loi du plus fort
On l’aura compris, la pièce évoque habilement celle de Reginald Rose Douze hommes en colère , dont Sydney Lumet réalisa le célèbre film avec Henry Fonda. Dès lors que les filles tiennent cette lettre en main, il va leur falloir procéder au vote de cette condition, qui de prime abord paraît à toutes, sauf à Blanche, dérisoire. La force du texte tient dans cette plongée au cœur de la psychologie de chaque ouvrière, de son parcours de vie et de son âge, qui fait jaillir brutalement sa parole. Loin de toute lourdeur ou parti-pris, Massini nous montre, à travers les réactions de toutes ces femmes, qui parfois viennent de très loin pour trouver un travail, comment la société, dans sa logique de prédation économique, peut grignoter les acquis sociaux gagnés pour garantir, à minima, des emplois. Jusqu’où accepter que son confort au travail soit rogné ? Certaines serrent les dents, d’autres crient à la suppression de liberté, et les plus jeunes avalent des couleuvres qui sont celles d’un nouveau monde tricoté de compromis et d’arrangements.
Onze actrices sur le grill
Le travail collectif des onze comédiennes, qui ne quittent jamais le plateau configuré en bi-frontal, est remarquable. Véronique Vella interprète la déléguée du personnel, Blanche, Cassandre de l’usine. Elle fait preuve d’une finesse prodigieuse, tour à tour maternelle, protectrice, gardienne de phare, et lanceuse d’alerte d’une lucidité politique féroce. Plus vraie que nature, elle démontre une fois encore la richesse de son engagement et de son talent dans un rôle complexe et singulièrement actuel. Claude Matthieu incarne superbement Odette, la plus âgée, la plus raisonnable, alors que Françoise Gillard est une Arielle toute en révolte. Anna Cervinka (Rachel), Elise Lhomeau (Sabine) et Elissa Alloula (Mireille), qui font toutes deux parties des nouvelles pensionnaires recrutées, forment avec Séphora Pondi, la dernière arrivée, des jeunes femmes en colère et à la tête bien faite. Camille Constantin (Zoëlie), Maïka Louakairim (Sophie), Mathilde-Edith Mennetrier (Agnès) et Lisa Toromanian (Mathab) complètent la belle distribution de ce spectacle qui emporte.
Hélène Kuttner
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