“4211 km” : un spectacle magnifique sur l’amour en héritage
Dans une fresque familiale, culturelle et politique éblouissante, Aïla Navidi raconte l’exil de ses parents iraniens en France, le déracinement et l’installation provisoire qui dure encore quand on a fui une révolution transformée en dictature religieuse. Entourée de jeunes comédiens épatants qui jouent en alternance, l’auteur et metteure en scène signe un spectacle d’une profonde vitalité et d’une énergie bouleversante.
Téhéran-Paris
Ça commence pas une naissance, celle de l’auteur, Aïla Navidi, transformée par la magie théâtrale sur scène par Yalda, qu’incarne avec punch et détermination la jeune Olivia Pavlou-Graham. Ses parents, Mina et Fereydoun, arrivent en France dans les années 80, assoiffés d’égalité et de liberté, persuadés qu’en France ils trouveraient, pour un temps seulement, ce que l’Iran ne pouvait offrir à ceux qui combattaient politiquement pour ces idéaux. Ce sont des réfugiés politiques, qui se sont battus du temps du Chah d’Iran, et qui ont vu leur révolution confisquée par les fondamentalistes religieux. Yalda, qui vient de naître dans un hôpital parisien, est le cadeau pour cette nouvelle vie. Qui se déroule en miroir de celle laissée en Orient, à 4211 km de Paris, à Téhéran où réside le reste de la famille, les frères et soeurs, le grand-père. A la maison, on parle le Farsi et l’Azeri, on discute politique, les copains réfugiés débarquent, refont le monde, et s’installent pour un temps. La jeune fille grandit dans cet espace temps entre Occident et Orient, s’adaptant parfois difficilement à cet entre-deux, à cette injonction d’être iranienne ou française, de réussir à l’école en étant exemplaire, dans le fumet oriental d’une cuisine exotique.
Tapis de cendres
Un beau tapis persan déploie sa couleur pourpre sous des amas de cendres. Ces deux couleurs, le rouge et le noir, seront les axes de ce spectacle en forme de road movie, où l’on croisera une jeune héroïne qui combat pour la vérité, une mère, jouée par Aïla Navidi ou Alexandra Moussai, portée par le sens du devoir et du sacrifice, un père, incarné par Florian Chauvet, qui s’engage dans tous les combats pour la liberté et le courage, un fiancé joué par Benjamin Brenière ou Damien Sobieraff, une tante interprétée par June Assal ou Lola Blanchard, et un grand père que joue Sylvain Begert ou Thomas Drelon. Les scène s’enchaînent à la vitesse de l’éclair, l’esprit et l’humour des conversations fusent, et la question de l’identité, vue à travers les yeux de Yalda, traverse tout le récit. Les dialogues vifs, les fragments de vie en Iran, derrière les grilles des prisons, avec les exactions de la police, la scénographie sobre qui fluidifie les enchaînements dans le temps et l’espace, assurent au spectacle un dynamisme qui densifie l’émotion. On s’attache aux personnages et à leur lutte, leur difficulté d’exister dans cet exil qui devient une réalité durable. Aïla Navidi raconte son histoire qui a valeur de récit universel, pour ceux qui combattent encore pour la liberté en Iran, pour ces hommes et ces femmes dont les révoltes portent haut cette utopie de justice et de liberté. Elle leur dédie ce magnifique spectacle qui est à voir par tous pour ne jamais oublier nos valeurs, pour ne jamais oublier d’où l’on vient.
Hélène Kuttner
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