La Vénus au phacochère – Théâtre de l’Atelier
Misia écrit des lettres et en reçoit de son amie modiste Geai ainsi que de son mari Thadée Natanson, directeur de la Revue Blanche dans laquelle se retrouvent les grandes plumes d’alors. De même, des noms connus émaillent le courrier de ces trois protagonistes dont la vie effervescente s’écoule entre des rencontres avec Toulouse-Lautrec, Bergson, Mallarmé, tous les peintres de Paris et autant de ministres, magnats de la presse ou écrivains rencontrés à l’Opéra, lors de soupers, en des salons ou en villégiatures.
Le décor en empilage bancal de chaises dorées campe une atmosphère hautement brillante et riche, légère et fragile. On s’étonne du choix de ne pas recréer l’ambiance voluptueuse et incendiaire que générait immanquablement Misia dont la chevelure rousse, les somptueuses toilettes, les réparties et le talent subjuguaient. Le charme est mis en avant alors qu’il s’agissait plutôt dans la véritable histoire de Misia de luxe et d’envoûtement. Le parti-pris va jusqu’à habiller sobrement Misia en pantalon noir, elle qui croulait sous les dentelles colorées, les robes vaporeuses et les rangs de perles. Misia Sert dont le nom retenu par la postérité est celui de son dernier mari, peintre, fut une muse pour la plupart des artistes qu’elle savait non seulement inspirer mais aussi encourager et soutenir sur tous les plans, en excellente pianiste qu’elle était. Ses formes sensuelles ont été immortalisées sur les toiles de Renoir, Toulouse-Lautrec, Vuillard….. au point de susciter une récente exposition à son nom au Musée d’Orsay. Ces facettes de la personnalité de Misia n’y sont pas toutes portées de manière égale.
L’auteur, Christian Siméon, stoppe l’histoire quand la fièvre commence. Il nous mène lentement et délicatement dans les valses de ce trio et tout à coup, il nous transporte dans un retournement shakespearien mais c’est la fin de la pièce. On voit alors Misia, femme mariée, tomber dans les bras d’un richissime mufle qui l’a agressée, le divorce est conclu tambour battant et l’on ne saura presque rien de l’ingéniosité machiavélique du prétendant qui triomphe brusquement. Les paradoxes passionnels sur fond de goût pour l’argent, la tranquille déliquescence d’une société de salon avant la première guerre mondiale, cela est peu creusé au profit d’une correspondance bien écrite mais trop alignée pour emporter le public dans une époque aux contradictions éblouissantes. Pourquoi et comment Misia succombe-t-elle aussi subitement ? Dans quelles limites est-elle libre de ses décisions, alors qu’elle aime la gloire et la richesse autant que l’art et que ce sont les hommes qui détiennent les deux ? Les questions sont laissées de côté.
Il faut souligner cependant que le ton prudent ainsi voulu est joliment tenu par Alexandra Lamy. Elle transmet avec finesse la nature piquante et séduisante de Misia. Lorsqu’elle bascule dans l’épisode difficile qui conduira à son divorce, elle passe à l’émotion avec tout autant de franchise, glissant talentueusement des amusements clinquants aux jugements d’une femme avisée et spirituelle. Malgré son intelligence et son cercle d’amis exceptionnel, Misia s’est trouvée entraînée dans une tourmente où l’amour masculin est fin comme le vernis des dorures, soumis aux préjugés contre les femmes que véhiculent des intellectuels notoires tel que Strindberg, souvent cité dans la pièce. Certains hommes ne voient pas plus venir la guerre qu’ils ne voient partir leur femme et Misia n’avait peut-être pas d’autre choix que de se faufiler avec les armes de sa beauté dans ces aveuglements masculins qui cantonnent des talents. Sans la moindre comparaison car il n’en est pas de possible, un texte et un contexte scénique plus perspicaces auraient tout de même permis d’approfondir la situation et de pousser plus loin les qualités d’Alexandra Lamy.
Isabelle Bournat
La Vénus au phacochère
De Christian Simeon
Mise en scène de Christophe Lidon
Avec Alexandra Lamy
Du 6 Juin au 6 Juillet 2013
Tarifs : 1ère catégorie : 35€ // 2ème catégorie : 28€ // 3ème catégorie : 15 €
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018 Paris
M° Anvers ou Pigalle
A découvrir sur Artistik Rezo :
– Les pièces à voir à Paris en janvier 2013 // février 2013
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