René, l’Enervé au Théâtre du Rond-Point
Auteur et metteur en scène prolifique des Fraises Musclées, du caustique Palace ou du primé au Molière : Théâtre sans animaux, il met en scène un conte farfelu retraçant les grandes lignes et faut-il dire, les temps forts des quatre dernières années politiques en France, à travers la montée au pouvoir d’un petit épicier nerveux. Exit le prologue « Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé, ne serait que pure coïncidence. », le pamphlet est largement assumé. Mais le plaisir de retrouver travestie la galerie de portraits de nos JT sarkosistes quotidiens, de sourire aux rimes et aux traits bien sentis de la pièce, est obombré par une frénésie créative, surproduction cyclonique de personnages, couleurs, décors et sonorités.
Double des journalistes, un chœur antique narre un genre de rêve américain. De sa petite épicerie, un encore petit hongrois se retrouve érigé au poste de Chef du pays. Déjà enflé de soif du pouvoir, ce coureur-gigoteur invétéré va jouir de ce que cette situation lui offre : le star système, le luxe et l’entretien de femmes glamour : Caramela puis Bella Donna. Bouffon sans programme, il se veut messie. Naturel et doté d’un bon sens qu’il agite et assaisonne à toutes les sauces, il séduit son monde. Il soutient les actions de son bouclier et bras-droit Hurtzfuller, obsédé par les maghrébins, les va-nu-pieds, les sans papiers, les voleurs de poules. Pendant ce temps, l’opposition dort. Seules deux folles en rose, Ginette et Gauffrette, tenteront des interventions aussi déglinguées qu’inutiles, contre cet homme. Mais elles pataugeront dans leur marre de discrédit et de ridicule. Au milieu du vacarme et d’un show biz de mauvais goût qui sentirait presque la friture, un autre René se lamente et refuse cet abattage : il est grand, fin, évoque la Hongrie et refuse le pacte avec les Cons de la Nation. Il tentera en vain de raisonner son « autre moi » dont il a honte et commettra, à bout, un assassinat-suicide. Ainsi résumés, les événements évoqués révèlent la grossièreté du show à l’américaine. Est épinglé l’accouchement d’un président « bling-bling » : montre en or, yatch, Fouquet’s, haute couture pour les premières dames… Puis les « épisodes » aussi fâcheux, ignobles, que drolatiques : le coup du Karcher, le célèbre « casse-toi pauv’con »… tout y passe. Les tics et les tocs : les talonnettes, les mots valises : « le bon sens ».
On ne rie pas seulement du gouvernement en place mais aussi de l’opposition qui pionce, de la gauche qui se fourvoie. Il ne s’agit pas des analyses et de la dérision fine et précise des Guignols. L’emploi n’est pas le même. Ribes met en lumière la farce dans son ensemble : la « people-isation » d’un président omnipotent, omniprésent, cette dérive fleuve et bactérienne qui entraînait dans sa course médias, artistes et personnages politiques, tout parti confondu, comme autant d’alluvions. Sous un pastiche dadaïste, on reconnaît sans peine le paysage : le gouvernement est composé d’un « ministre du miasme contagieux » ou du « penalty dans la lucarne » ; l’euphémisme de Jarry est même repris en choeur à la fin de la pièce: « merdre ! ». Héritier de Jarry, Ribes emprunte le sentier défriché par Ubu Roi : provocation, absurde, satire, parodie et humour gras. Loin d’un portrait à l’aquarelle, le metteur en scène trace au marqueur et manie souvent avec habileté les mécanismes du rire : des rimes bien pensées (« Pédalons et devenons Crésus, pédalons comme des fous pour gagner plus de sous » ; un sens de la formule («Je suis en forme, je réforme. ») ; des répétitions ; des caractéristiques surlignées : René est indissociable de son jogging, Donna Bella porte une coiffure vertigineuse très Jean-Paul Gaultier.
Les moyens mis en œuvres sont remarquables : vingt-et-un interprètes, comédiens et chanteurs hors pair, un orchestre à vue jouant une musique originale, enlevée et réjouissante de Reinardt Wagner, des costumes aussi nombreux que somptueux, le talentueux Pierrick Sorin pour l’intervention d’une vidéo de son style : ironique et décalée… Le spectacle est total : plein la vue et plein les oreilles. Il faut reconnaître la qualité formelle de l’oeuvre. Mais voilà : c’est un peu trop, trop de tout. Chaque vers est inlassablement répété, voire martelé, la musique et les voix vocifèrent à toute bringue, les couleurs éclatent, les idées fusent, la scénographie de Patrick Dutertre se structure et se déstructure à chaque tableau… On hyperventile, on décroche et l’entracte se profile telle une oasis avenante. Inégal, le spectacle remporte tout de même un certain enthousiasme.
Que les fidèles se rassurent, la procession vers les Champs-Elysées peut avoir lieu. Le directeur du Théâtre du Rond-Point, frappe fort avec cette opéra-bouffe haut en couleurs. René, l’Enervé n’est pas tant la profession de foi d’un engagement politique mais une défense bec et ongle de la survie de l’art et de la culture. Dans son bastion, il organise fièrement la tenaille avec son « rire de résistance ». A l’instar du président Sarkozy, Ribes est un sale gosse mais un cancre joyeux qui nous propose un exutoire, une gigantesque bataille de tarte à la crème et sauve qui peut ! Directeur d’un théâtre public sous les projecteurs, il dédaigne le conformisme et prend pleine possession de notre liberté d’expression, s’enrôlant dans un combat réel. Si le double de René, René 2, le grand, le fin, propose une lecture un tantinet mièvre, il honore son inventeur qui, lorsque la mode est au cynisme, assume son penchant pour les bons sentiments et peint l’image d’Epinal d’une révolution fraternelle et égalitaire. Si l’on attend la fin de la pièce comme le dénouement de 2012 et ses futures élections, il faudra repasser car l’auteur ne propose pas de solution mais se cramponne à son juste rôle de fantaisiste et de rêveur.
Gaëlle Le Scouarnec
A lire sur Artistik Rezo :
– la critique de René l’Enervé par Edouard Brane
– les meilleures pièces de théâtre de la rentrée 2011
René l’énervé
Auteur et metteur en scène : Jean-Michel Ribes
Avec Sophie Angebault, Caroline Arrouas, Camille Blouet, Sinan Bertrand, Gilles Bugeaud, Claudine Charreyre, Benjamin Colin, Till Fechner, Emmanuelle Goizé, Sophie Haudebourg, Sébastien Lemoine, Jeanne-Marie Lévy, Thomas Morris, Antoine Philippot, Rachel Pignot, Alejandra Radano, Guillaume Severac-Schmitz, Fabrice Schillaci, Gilles Vajou, Jacques Verzier et Benjamin Wangermée
Compositeur : Reinhardt Wagner
Violon : Emelyne Chirol // piano : Laurent Desmurs // guitare et percussions : Jean-Yves Dubanton // clarinette et saxophone baryton : Ghislain Hervet // violoncelle : Maëva Le Berre // violon : Noémie Poumet // saxophone, flûte et accordéon : Dominique Vernhes
Vidéo : Pierrick Sorin // scénographie : Patrick Dutertre // costumes : Juliette Chanaud // lumières : Fabrice Kebour // chorégraphie : Lionel Hoche // son : Samuel Gutman, Guillaume Monard // perruques et maquillages : Cécile Larue // orchestration : Steve Journey, Reinhardt Wagner // création des têtes de cerfs : Anna Deschamp, Sean Dubar // direction musicale : Delphine Dussaux // assistante à la mise en scène : Virginie Ferrere
Du 7 septembre au 29 octobre 2011 à 21h
Dimanche, à 15h
Relâche les lundis et le 11 sept.
Tarifs : de 18 à 36 euros (sur Internet)
Théâtre du Rond Point
Salle Renaud-Barrault
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
M° Franklin D. Roosevelt ou Champs-Élysées Clemenceau
[Visuel haut : René l’Enervé Opéra bouffe et tumultueux. © Stéphane Trapier]
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