Une “Périchole” gouailleuse en short et bas résille au TCE
Laurent Pelly à la mise en scène et Marc Minkowski à la baguette, avec les Musiciens du Louvre, proposent une splendide Périchole dans un Pérou encore possédé par les Espagnols mais chahuté par la gouaille populaire. Antoinette Dennefeld, Stanislas de Barbeyrac et Laurent Naouri forment l’inénarrable trio amoureux de cette opérette signée Offenbach, à l’éclat contemporain et à la joie de vivre communicative.
Une héroïne populaire
À l’instar de Carmen, racontée par Mérimée et mise en musique par Bizet, La Périchole est un personnage de femme libre et passionnée, férocement indépendante, qui connaît la valeur de l’argent, qu’elle gagne ou pas, et les moyens d’obtenir des faveurs. Inspirée d’un personnage réel, actrice et courtisane, c’est une chanteuse de rue, amoureuse de Piquillo, un joueur de guitare gentil mais un peu simple. Comme souvent, le metteur en scène Laurent Pelly et sa scénographe Chantal Thomas ont décalé le cadre de l’histoire, avec la complicité d’Agathe Mélinand pour les dialogues, la plongeant en plein présent dans la capitale du Pérou, Lima, grouillant d’une population bigarrée aux vêtements de coton simple, shorts et en tee-shirts colorés, au centre d’une place dominée par des immeubles des années 60 avec du linge suspendu aux fenêtres. En short de jean et collants résille, Antoinette Dennefeld déambule à la manière d’une sauvageonne, mi-biche mi-tigresse, voix de velours et sourire carnassier.
Des mâles rugissants
Ils sont deux à se pâmer devant la belle Périchole. Piquillo, le pauvre musicien, qui va un jour se réveiller dans la rue sans son amoureuse, auquel le ténor Stanislas de Barbeyrac prête son tempérament de feu, grand gamin qui roule les mécaniques mais qui pleure comme une Madeleine. Et Don Andrès de Ribeira, le Vice-Roi, pervers ridicule à souhait mais prédateur sous son imperméable et ses lunettes fumées, qu’incarne Laurent Naouri, timbre renversant d’autorité et diction plus que parfaite. Tous sont épatants de vivacité et d’humour dans ce spectacle qui n’a rien d’une carte postale du XIX°siècle, et dont le metteur en scène anime le moindre centimètre d’espace et de jeu sur le plateau. Le couple de fonctionnaires Rodolphe Briand-Panatellas, et Lionel Lhote-Don Pedro rivalisent dans le ridicule et la vantardise. Quant aux trois cousines qui tiennent la taverne, Chloé Briot-Guadalena, Alix Le Saux-Berginella et Eléonore Pancrazi-Mastrilla, vives comme des grenades dans leurs robes à jupons, elles participent activement à la réussite d’une production burlesque qui met en scène les corps autant que les voix.
Des images fortes
La salle de la cour au second acte, avec ses miroirs géants et ses canapés profonds, ses armées de courtisanes blondes et sculptées comme des poupées Barbie, la prison du troisième acte, cachot poétique et mystérieux, destiné aux “maris récalcitrants”, tout est matière à jouer pour des interprètes qui conjuguent une technique vocale brillante à une performance dramatique réjouissante. Stanislas de Barbeyrac assume pleinement son rôle d’anti-héros attendrissant, physique de GI américain et densité vocale radieuse, fluidité entre les registres; Antoinette Dennefeld, jeune mezzo-soprano au corps de danseuse et au tempérament volcanique, campe une héroïne à la modernité évidente. Nathalie Pérez (Frasquinella), Mitesh Khatri et Jean-Philippe Fourcade, qui jouent les notaires, complètent cette distribution parfaite avec Eddy Letexier dans le rôle du vieux prisonnier. Dans la fosse, Marc Minkowski entraîne comme un heureux chef de troupe l’ensemble des Musiciens du Louvre, tous épatants dans ce tempo enlevé et joyeux. A ne rater sous aucun prétexte.
Hélène Kuttner
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