Un Lear électrique à l’Opéra Garnier
Lear De Aribert Reimann Mise en scène de Calixto Bieito Avec Bo Skovhus, Gidon Saks, Andreas Scheibner, Michael Colvin, Kor-Jan Dusseljee, Lauri Vasar, Andrew Watts, Andreas Conrad, Ricarda Merbeth, Erika Sunnegardh, Annette Dasch, Ernst Alish, Nicolas Marie er Lucas Prisor Jusqu’au 12 juin 2016 Mercredi 1 juin à 20h30, lundi 6, jeudi 9 et dimanche 12 juin à 19h30. Tarifs : de 10€ à 160€ Réservation en ligne ou par téléphone au 08 92 89 90 90 (0,34 E la minute) Durée : 3h avec deux entractes |
Jusqu’au 12 juin 2016
A l’Opéra, les personnages mythiques flamboient. Le metteur en scène Calixto Bieito façonne un spectacle splendide autour du célèbre roi shakespearien, que le compositeur berlinois Aribert Reimann plonge dans un univers dodécaphonique à la violence sauvage. Le chef, les chanteurs, l’orchestre sont impliqués corps et âmes dans cet extraordinaire théâtre de voix et de percussions contemporain. Une partition dantesque et sauvage Comment représenter l’irreprésentable, l’enfer, la destruction et la violence outrageuse ? Aribert Reimann, né en 1936 à Berlin, a composé avec son librettiste Claus Henneberg un opéra en deux parties resserrées autour de l’intrigue et des personnages principaux, dont ils multiplient les doubles et les effets de miroirs. Les personnages, Lear, ses deux filles Goneril et Regan, les deux frères Edgar et Edmond ainsi que ses deux gendres Albany et Cornouailles sont caractérisés par des lignes de chant crié ou parlé, un chant modulé, vociféré, hurlant ou hystérisé, que vient soutenir un orchestre riche en cuivres et en percussions qui nous secoue avec une violence tellurique. Les associations hardies d’extrême aigû, les dissonances stridentes, l’originalité de ce maillage qui met à plat et déstructure tous les schémas classiques, renvoie totalement à la restructuration de cette histoire familiale qui vient percuter la grande Histoire et l’enflammer. Des interprètes éblouissants Pour incarner ces monstres en action, dignes des grands mythes antiques mais qui nous rappellent hélas les dictateurs sanguinaires, plus ou moins proches dans le temps qui ont mis leurs pays et les autres à feu et à sang, il faut des interprètes de haut niveau, capables de performances vocales inédites et d’un jeu dramatique stylisé. Saluons d’abord la mise en scène sobre et puissante, quasi-brechtienne, de Calixto Bieito : le long rectangle du plateau gris comme une lande anglaise est bordé de lattes de bois noir qui progressivement, prison infernale, laissent percer une lumière éblouissante à travers leur déplacement, se muant alors en arbres morbides sur un infini de lumière blanche. Aucune surcharge scénique, pas d’hémoglobine ou de vidéo envahissante. Le travail ici épouse au plus près la lisibilité du livret, sa poésie, se concentrant avant tout sur une direction d’acteurs parfaite. Corps et âmes donc des chanteurs-acteurs sont sollicités jusqu’à l’épuisement physique. Monstres à la dérive Jeune vieillard désenchanté par la réaction sincère de sa fille Cordelia, qui ne souhaite pas rajouter un mot de flatterie à la suite de la surenchère de ses soeurs, le baryton Bo Skovhus est époustouflant d’énergie et de présence vocale. Dietrich Fischer-Diskau avait créé le rôle en demandant à Reimann de composer l’opéra en 1978. Il est ici pour la première fois repris et incarné avec un souffle et une sensibilité remarquables. Les trois soeurs sont à la hauteur vocale et dramatique du rôle titre. La brune Ricarda Merbeth (Goneril) déploie la sauvagerie et le cynisme qui sied à cette Lady Macbeth, tandis que la blonde Erika Sunnergardh (Goneril) est toute hystérie sexuelle et perversité. A l’inverse, la douceur du timbre et la suavité d’Annette Dasch rendent au personnage de Cordelia une immaculée douceur. Prise de risque Lauri Vasar campe un formidable Gloucester, émouvant et déchiré, face à ses deux fils Edgar le gentil, du contre-ténor Andrew Watts, déchirant de beauté, et d’Edmond le fourbe, terrible et percutant Andreas Conrad. Andreas Scheibner (Albany) et Michael Colvin (Cournailles) rivalisent de perversité et d’intrigues alors que Ernst Alish offre une belle présence de fou cynique mais lumineux. Tous sont formidables, dirigés dans la fosse d’orchestre par un Fabio Luisi épatant, respectueux des contrastes et la violence profonde de la partition, entraînant les musiciens dans une fusion volcanique d’images et de sons en contournant avec talent la difficulté évidente d’une telle oeuvre. Un spectacle total, dans une ambiance et des ombres kafkaïennes et entêtantes, mais où l’imaginaire du spectateur s’engouffre avec plaisir et frayeur, partageant le risque pris par les artistes. Hélène Kuttner [ Crédit Photos : © Elisa Haberer – Opéra National de Paris ] |
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