SUSPIRIA : auditorio spell
La parution le 26 octobre dernier de la bande originale de Suspiria se manifeste comme le vestibule de la patience avant la sortie française du film dans nos salles, programmée au 14 novembre. Retour sur un album signé Thom Yorke.
La 75e édition de la Mostra de Venise fût marquée par Luca Guadagnino et son remake du “Suspiria” de 1977 de Dario Argento, classique du cinéma horrifique Italien. Culte, par son univers malade inspiré de l’expressionisme allemand, son évidente modernité, ainsi qu’une ivresse de couleurs arçonnée d’une bande originale magistrale signée Goblin, groupe de rock progressif italien ayant signé bon nombre de BO ; d’Argento à Romero il n’y a qu’un pas. Hypnotique, elle mêle boucles incessantes, ostinati, murmures assourdissants et silences d’agonie, nés par l’utilisation d’un large éventail d’instruments ; tablas, boîte à musique ou claviers Moog, ces expérimentations ne sont pas sans rappeler celles de la musique moderne expérimentale ou concrète avec Stockhausen, Wendy Carlos ou Pierre Henry.
Il est impossible de songer qu’un remake d’un film ayant côtoyé ainsi la modernité et l’expérimental ne s’adonne pas aux mêmes pratiques. Thom Yorke fût ainsi choisi par Luca Guadagnino afin d’habiller musicalement son film. Thom Yorke, c’est une des têtes pensantes du cosmogonique Radiohead, probablement l’un des groupes les plus intéressants de sa génération par son évolution éthérée, débutant du bourbier britpop grunge dans lequel les médias les avaient placés à, 25 ans plus tard, un chamanisme post- moderne des plus singuliers. Jonny Greenwood, multi instrumentiste du groupe, a d’ailleurs largement contribué au cinéma par ses pièces, notamment avec Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood, Inherent Vice, Phantom Thread). Au final, le seul véritable coup d’essai du groupe dans sa totalité fût pour Spectre de Sam Mendes, hélas remplacé par un titre de Sam Smith dans sa version finale.
Ainsi, c’est un baptême du feu pour Thom Yorke, comme il le dit lui-même lors d’une interview sur France Inter :
“J’ai été approché par une commande de la part de l’équipe, un Sabbath… Des choses que je ne ferais jamais de moi-même. […] Une des raisons pour lesquelles j’ai accepté, j’avais construit mon propre studio et cherchais un prétexte pour faire de la recherche, j’écoutais beaucoup de musique moderne vraiment expérimentale, électronique surtout, Pierre Henry, Stockhausen…”
En résulte ainsi un album magistral de conscience intime, d’une ambition vertigineuse aux constellations musicales pertinentes, denses et variées, déchiquetées et retournées sans pour autant perdre une once d’homogénéité. Sabbath Incantation plain chant, flegmatique orientalisé Has Ended et son caractère Brian Eno, Volk l’angoisse incandescente d’une répétition ou encore A choir of One, longue pièce expérimentale dérangée et dérangeante d’un souffle torturé, glaçant et pétrifiant. C’est bien de répétition dont use le sorcier de la composition afin d’instaurer cette oppression totale, en bravant un interdit élémentaire de la composition classique.
“Je ne souhaitais pas m’inspirer pleinement du travail effectué par Goblin, ce que j’ai cependant trouvé intéressant était cette répétition obstinée de motifs, encore, encore et encore. Votre esprit se dit “Pitié, je ne veux plus entendre cela”, je trouve cela fascinant, cet effet hypnotique. C’est une manière de jeter des sorts selon moi” explique-t-il lors de la conférence de presse à la Mostra de Venise.
Dans cette myriade de titres s’étalant sur un peu plus d’une heure et vingt-minutes, demeure un futur tube de cinéma, Suspirium, un piano voix d’une émotion rare, manifeste à lui-seul de ce dont tout le film augure, tout est présent avec pourtant si peu.
C’est tout autant de morceaux s’égrainant comme les jours séparant la sortie dans les salles obscures, obscur comme l’est ce film mais non pas l’intention ni la pochette de cette bande originale, elles, aux contrastes opposés, saturées de couleurs dont elles se parent avec intrigue, élégance et épouvante.
Lucas MÉGARDON
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