Siegfried – Opéra Bastille
Deux, sinon rien !
Siegfried, remplacé au pied levé, est venu « sans armes, sans casque » conquérir Brûnnhilde. Le ténor Torsten Kerl joue physiquement sur scène mais Christian Voigt chante à ses côtés.
Le jeune ténor a interprété entièrement le Ring à l’Opéra de Freiburg de septembre à janvier, regardant à peine sa partition sur la scène de la Bastille, maîtrisant tout à fait le rôle mais manquant un peu de puissance vocale. C’est dommage car Torsten Kerl en salopette rayée, semble promettre, un vrai bon gros bébé jovial, innocent à souhait paraissant malgré tout en pleine forme.
Quant à Wotan – Juha Uusitalo souffrant aussi, c’est l’assistant à la mise en scène qui l’incarne, chanté convenablement par Égils Silins. Deux, cela fait beaucoup, mais ce sont les inconvénients du spectacle vivant ! On est déçu surtout dans leur duo au troisième acte, heureusement assez court. Cela perd en intensité, l’artifice dupliquant les rôles, on a l’impression d’être à une répétition générale. Heureusement, l’Orchestre national de l’Opéra de Paris excelle, dirigé avec précision et fougue par Philippe Jordan, très apprécié du public parisien, chantant du bout des lèvres chacun des rôles ! La musique magnifiquement interprétée a transporté la salle, conquise.
Un premier acte très drôle
La mise en scène de Günter Kramer surpasse celle de L’Or du Rhin dans les décors fabuleux de Jürgen Bâckmann.
Un gigantesque ascenseur grillagé et gris habille la scène sur toute sa hauteur, tandis que le plateau présente un décor aux couleurs criardes des années 50,(nappes à fleurs en toile cirée, nains de jardin en clin d’oeil, poste de télé caché dans le buffet) en s’élevant ainsi sur deux étages, s’opposant aux gris et sombres espaces du forgeron. La scène de la forge de l’épée est très belle dans sa facture jusqu’au moment final où Siegfried brise l’enclume en fin d’acte.
Wolfgang Ablinger-Sperracke, dans le rôle de Mime, tient tout ce premier acte avec bonheur. Très applaudi, le ténor subjugue par la qualité de son interprétation de ce rôle d’homme-ménagère, à la fois père et mère de Siegfried. Doucereux et perfide, le chanteur exulte de joie et d’ignominie. Son faciès semble concentrer cette trahison. Il s’oppose à la bonhomie simplette de Siegfried. C’est un rôle comique presque shakespearien quand il avoue au second acte ses véritables intentions.
De très belles images plastiques, dignes d’un étrange conte de fées émerveillent dans le second acte :
Des hommes nus mais peints de vert et de taches noires arpentent sourdement le plateau portant des briques d’or : ce sont les hommes du géant Fafner qu’on entend chanter des coulisses. Sa voix malheureusement amplifiée semble nous parvenir d’une grotte. Toutefois Stephen Milling par sa voix superbe et sa belle présence a conquis toute la salle.
La forêt aux couleurs mordorées ou bleutées, peinte sur un magnifique voile dans lequel s’engouffre le vent, couvre tout le haut de la scène. Des tas de feuilles mortes rouges et or jonchent le sol qui abrite un autre voile peint de coquelicots qui se superpose au premier : c’est magique !
Enfin, la tête hagarde de Mime, surpris par cette mort qui le prend alors qu’il espérait la donner, mais aussi le corps renversé, gisant à terre de Fafner fascinent tandis que Siegfried taille une flute pour chanter avec l’oiseau. On ne comprend pas très bien pourquoi l’oiseau est en treillis, est-ce un écho de L’Or du Rhin ? La soprano Elena Tsallagova chante merveilleusement ce rossignol.
Un troisième acte vertigineux
Le trouble renaît avec Erda dans une sombre bibliothèque, sa robe noire sans fin se reflète dans les miroirs qui multiplient les regards. Qui Lin Zhang qui avait fait une brève apparition très remarquée dans l’Or du Rhin, ravit à nouveau.
Enfin, Katarina Dalayman, l’une des sopranos dramatiques les plus renommées actuellement, chante divinement Brünnhilde. Puissante, généreuse et sensible, elle revient, après la Walkyrie, à l’Opéra Bastille. Sa voix bouleversante et déchirante emplit la salle. On redoute pour elle une chute lorsqu’elle s’éveille à la vie si brusquement, allongée sur cet immense escalier qui donne le vertige.
On hâte de découvrir le Crépuscule des Dieux en juin…
Marie Torrès
Siegfried
Deuxième journée en trois acte du festival scénique L’Anneau du Nibelung (1876) de Richard Wagner (1813 – 1883)
Livret du compositeur
En langue allemande
Durée : 5 heures 10 avec deux entractes
Philippe Jordan, Direction musicale
Günter Krämer, Mise en scène
Jürgen Bäckmann, Décors
Falk Bauer, Costumes
Diego Leetz, Lumières
Otto Pichler, Mouvements chorégraphiques
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Du 1er au 30 mars 2011
Réservations : 0 892 89 90 90 (0,34€ la minute depuis un poste fixe en France) ou sur le site de l’opéra.
Prix des places : 5€, 15€, 30€, 50€, 80€, 110€, 135€, 160€, 180€
Opéra Bastille
Place de la Bastille
M° Bastille
[Visuels (de haut en bas) : Charles Duprat // Elisa Haberer // Elisa Haberer // Charles Duprat // Elisa Haberer]
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