Shantel au Bataclan
Votre musique, que vous interprétez ici avec le Bucovina Club Orkestar, est toujours très festive. Que représente-t-elle pour vous ?
C’est une question difficile ! L’être humain a besoin de la musique pour améliorer sa qualité de vie, non pas dans un sens commercial, ou en étant plus branché. Ainsi le bébé réagit à la voix de ses parents, notamment aux berceuses. Même si ma musique est majoritairement festive, je reste très ouvert d’esprit, et d’ailleurs je me nourris de musique mélancolique. Par exemple j’adore Charlie Mazel, un chanteur de country très minimaliste. Si vous voulez créer quelque chose, vous devez vous nourrir de sentiments opposés, contradictoires.
D’ailleurs le réalisateur allemand Fatih Akin, avec qui je collabore souvent, m’a confié que son dernier film, Soul Kitchen, qui est le plus drôle de sa filmographie, avait aussi été le plus difficile.
Parlez-moi de votre relation avec lui.
J’ai collaboré à la musique de plusieurs de ses films, notamment « Head-On », mais aussi « The Edge of Heaven » [en français « De l’autre côté », ndlr] dont j’ai fait toute la Bande Originale. Pour Soul Kitchen, il a puisé quelques morceaux dans ma production musicale, notamment « Manolis o Hasikilis ». C’est un réalisateur turc né à Hamburg, très atypique, vraiment peu représentatif de ces origines. Avec lui, j’ai le sentiment que nous sommes des « soul brothers ». Nous avons le projet de réaliser un documentaire musical lors de mon passage à Guca, dans le Sud de la Serbie [lieu où se déroule une rencontre de fanfares balkaniques, ndlr]
En parlant d’origines, comment conjuguez-vous vos origines allemandes et balkaniques ? Avez-vous l’impression de changer l’image négative que les occidentaux se font de l’Est ?
Mais non ! Je suis originaire de la « Planet Paprika » [titre de son dernier album, ndlr] ! Vous savez, quand vous êtes d’origine juive ukrainienne par votre mère et grecque allemande par votre père, les histoires de passeport… vous essayez de les mettre de côté. Au début de ma carrière, les gens se posaient cette question : « Cette nouvelle musique, la Balkan Pop, c’est autorisé ? D’où ça vient » ? Tout ça, c’est des conneries : la vraie question c’est votre passion, et votre propre paysage intérieur. Le violoniste du Bucovina Club Orkestar, qui est Parisien, vient de Naples ; et il est tellement bon que tout le monde le prend pour un Roumain !
Au début j’essayais de combattre les clichés à l’encontre de l’Est, mais le problème c’est que les artistes eux-mêmes s’installent dans cette image pittoresque, portent de vieux costumes, jouent de l’accordéon… Les Occidentaux adorent ce côté un peu romantique, typique… Du coup les artistes, encouragés par la production, s’enferment là dedans. Nous-même, nous avons laissé tomber le synthétiseur pour l’accordéon. La réalité, c’est que si vous allez à Bucarest, vous allez être choqués par le fossé immense entre riches et pauvres. C’est la ville où vous trouverez le plus de Ferrari ou de Maserati.
Parlez-moi de votre tournée, qui se déroule d’avril à août, principalement en France et en Allemagne.
Et bien je dirais qu’elle a un peu commencé comme une blind date. Je ne connaissais pas les musiciens hors studio, et je dois dire que parfois ça a frôlé la catastrophe ! Mais j’aime ce sentiment d’inconfort, ça permet de rester conscient, d’improviser, de ne pas s’endormir. On se dit « ça ne peut pas être pire, ça ne peut qu’être mieux ! »
Pourriez-vous jouer en live, seul, à la guitare accoustique ? Ou bien devez-vous vous sentir entouré par votre orchestre ?
Le problème, c’est que ma musique est réellement faite pour être jouée à plusieurs ! Je pourrais jouer seul, mais dans une maison de retraite ! Je le ferai peut-être à 60 ans (rires) !
Continuez-vous à mixer dans les Clubs ?
Oui bien sûr ! C’est très utile pour enrichir ma musique live. Malheureusement, je ne peux pas emmener mon orchestre car il n’y a souvent pas assez de place, mais je suis très reconnaissant de pouvoir continuer à mixer, car cela permet aussi de gagner pas mal d’argent. Je suis demandé parfois jusqu’en Arménie ou en Azerbaïdjan. Le problème, c’est que les gens ne connaissent pas ce que je fais. Puis quand ils l’entendent, ils font « Ah, donc c’est ça… » (rires)
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Mathilde de Beaune
Shantel en concert
Le 21 mai 2010 à 19h30
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Bataclan
50, boulevard Voltaire
75011 Paris
Métro Voltaire
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