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Setchea : Un univers dans son projet | L’entracte (2/3)

Farida Mostafa 7 février 2024
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© Kirill Babich

11h du matin au parc, toutes les formes de vie se croisent. Le rythme est agréablement ralenti. Alors que mon attention est parfois déviée par les chiens qui errent loin de leurs compagnons, le hêtre à grandes feuilles devient l’arbre qui m’ancre dans le moment. Chaque carillon de corbeau communique quelque chose de l’ordre du non-vu. Paris est beau sur les hauteurs des Buttes Chaumont.

Setchea continue de révéler les histoires, les inspirations, et les ruminations derrière son premier album, Vengeance et Miséricorde. Nous reprenons là où nous nous sommes arrêté·e·s : à l’accroche.

J’ai l’impression que ton album est une curation.

C’est une compilation, exactement.

Comment as-tu procédé pour la sélection des titres ? 

J’étais dans une phase extrêmement productive mais je n’étais pas en mesure de distribuer la musique, et c’est là que j’ai pris la décision de faire un album. J’ai laissé le processus se faire et j’ai essayé de créer une histoire avec un certain fil rouge. J’étais plus à l’aise pendant longtemps de dire que c’est une mixtape. Au bout d’un moment, je l’ai désacralisé et j’assumais que c’était un vrai “body of work”.

Pour quelle raison as-tu penché vers Vengeance et Miséricorde ?

À la base, ça s’appelait Revanche et Miséricorde. Mais je trouvais que le mot revanche avait un peu de fierté. Progressivement, c’est devenu Vengeance et Miséricorde parce que c’est une question qui est devenue une réponse. C’est un constat de ces deux dernières années d’introspection. J’essayais de faire un travail de deuil, de soin, de tri, et je posais vraiment la question : est-ce que j’ai la force de pardonner le passé ou est-ce que j’ai ce côté vengeur qui aura à prendre la main sur le destin ? Plus ça allait, plus je me suis rendu compte que grâce à la musique, j’étais plus en mesure de pencher vers la miséricorde, le pardon, l’acceptation. Donc là-dedans il y a une idée de vengeance, mais c’était à ne pas céder à la haine, et essayer de rester dans l’amour. C’est vraiment ça que raconte l’album.

© Sena J. Gbadji

Fais-moi part des éléments clés de l’artwork.  

C’est là où on est assis. Il a été fait par mon frère, qui est peintre et sculpteur. Je lui ai juste raconté des choses qui me tenait à cœur, et il a tout mis. Je lui ai dit qu’il pourrait mettre les 4 sœurs (ma mère a 3 sœurs), ou une photo de mon père quand il était petit en train de tenir une rose. Il y a la cigogne alsacienne, le petit joueur de flute, le buffle que j’ai tatoué dans le cou, qui est un hommage à mon nom de famille. Il y a Dorian et Marion qui sont mes complices. Je trouve qu’elle illustre bien ma vie, cette peinture.

Comment est nommé ton buffle ?

Opi, qui veut dire buffle en fon. C’est le symbole de ma famille parce que Soa O Gbaguidi, qui veut dire le grand chef qui est arrivé sur le dos d’un buffle, était le nom de la première personne qu’on a appelé ainsi.

Serait-ce une manifestation d’hommage à tes racines ?

Oui.

S’agit-il d’une dimension que tu transposes dans ta musique ?

Si on parle d’Opi, c’est le côté spirituel des descendants du Dahomey qui transparait évidemment dans ma musique, mais que je n’ai pas tant cultivé pour l’instant. Je dirais que je suis plus inspiré par l’esthétique européenne et alsacienne de mes origines allemandes et suisses. Par contre, la chose dont je m’inspire beaucoup est la lignée directe du côté Gbaguidi. Mon grand-père est un homme politique, avec des valeurs très fortes et je me considère l’héritier directe de cela. L’art engagé, qui flirte avec la politique dans une dimension subjective et subversive est très présent dans ma musique.

Imaginons que tu étais en partenariat durant la phase de l’écriture. 

C’est une forme personnelle et subjective de cette conversation que j’ai toujours entretenue avec mon père, de moi qui questionne le monde, qui philosophe. Des fois qui se révolte, des fois qui se plaint. Des fois qui pleure. Des fois qui pousse des cris de joie. Mais c’est vraiment cette méditation. Je me pose, et j’entame une conversation avec la vie. Le prisme de mon père est important parce que cette conversation a construit mes valeurs, ma vision du monde. Il a été un grand partenaire et je l’ai mis en producteur de l’album parce qu’il était un vrai collaborateur. C’est une personne à qui je faisais écouter ma musique toutes les semaines, qui avait un vrai retour, un vrai avis, des vrais conseils. Et pas forcément que lui. C’est une conversation qui se fait de plus en plus avec mon public maintenant.

Est-ce une considération à laquelle tu réfléchis en écrivant ta première phrase ?

Ce n’est pas systématique, il y a toujours plein d’intentions différentes. Je pense qu’avant tout je parle à moi-même. J’ai dernièrement écrit un texte sur le métissage et sur la trentaine dans une vraie volonté de partager. J’aime bien me poser cette question de comment je peux trouver le compromis entre être dans mon authenticité et en même temps susciter quelque chose qui pourrait “spark a conversation”.

Estimeras-tu que ton art revêt une portée éducative ? 

Je pourrais dire oui mais je trouve ça un poil prétentieux. Je ne prétends pas avoir un savoir et je ne suis pas dans un enseignement de la vie. Par contre, il y a ce vrai but de refléter ma réalité, ma vie, mes pensées, pour mettre en lumière des choses, et potentiellement inspirer pour potentiellement amener les gens à s’exprimer à leur tour. Donc contribuer et agir.

Cette intention et cet engagement transparaissent-ils dans ton album ?

Je le revendique clairement. Sur Le Parrain, où je parle de la démarche de l’art comme un medium de révolte. Il y a aussi La Goutte d’Air. C’est mon son préféré de l’album parce qu’il est ultra personnel. Mais même moi en l’écrivant, je me rendais compte à quel point il était universel. C’est juste du cœur. Tu sens que ça peut toucher la personne parce qu’elle peut toujours s’y associer d’une manière ou d’une autre.

(…)

L’histoire ne se termine toujours pas ici…

Interview réalisée par Farida Mostafa


Retrouvez les 2 autres parties de l’interview :

Setchea : une écriture dans son univers | Le prologue (1/3)
Setchea : Un projet dans sa vision | L’épilogue (3/3)

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