Rencontre avec un disquaire de Lyon
Le Tiki Vinyl Store est un magasin de vinyles ouvert depuis 2014 dans les pentes de la Croix-Rousse à Lyon. La boutique propose une collection incroyable de vinyles de tous les genres afin que chacun y trouve son bonheur. Ludovic Ferrara, le gérant, passionné de musique depuis son plus jeune âge a accepté de répondre à nos questions.
Peux-tu nous parler de ton parcours, de ton rapport au métier de disquaire ?
Je suis entré dans ce milieu à partir de 1989. Pour moi, l’idée était d’associer passion de la musique et possibilité de travailler dans ce milieu. J’étais étudiant en économie et je cherchais un moyen de gagner de l’argent pour directement le dépenser en achetant des disques. J’ai donc commencé à apprendre le métier de disquaire à la Fnac pendant 2 ans et demi. Une fois mes études terminées j’ai travaillé comme disquaire pendant 2 ans dans une autre Fnac et j’ai ensuite commencé à bosser en maison de disque, BMG pendant 3 ans, Sony Music pendant 6 ans et Naïve Records pendant 12 ans. Un parcours finalement plus centré sur la partie production et diffusion. Puis j’ai décidé de me mettre à mon compte.
Il y a une raison particulière au fait que tu te mettes à ton compte ?
Évidemment. À partir d’un moment, les maisons de disques ont commencé à réduire leurs effectifs. J’en ai profité et j’ai décidé de me servir de mon propre argent pour pouvoir continuer mon activité. L’idée était d’utiliser toute mon expérience à la fois comme disquaire et comme distributeur de différents labels, mais cette fois-ci à mon profit.
Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton métier ?
Ce que j’aime le plus ? C’est que je peux me fournir ma propre drogue ! -Rires-
Non, plus sérieusement, ce que j’aime dans mon métier c’est que je n’ai jamais l’impression de travailler. Un écrivain journaliste de la presse musicale à dit : “le plus beau métier du monde c’est Rockstar, et le second c’est disquaire”. Je n’ai malheureusement pas pu devenir Rockstar donc j’ai choisi la deuxième option.
En quoi s’agit-il du plus beau métier du monde selon toi ?
C’est un très beau métier dans le sens où quand j’ouvre la boutique je ne sais pas ce qu’il va se passer, je ne fais jamais les mêmes choses, il y a toujours de la nouveauté. Au-delà de ça, c’est aussi le fait de rencontrer des gens avec qui tu vas pouvoir échanger, partager des émotions. Le plus important c’est l’échange d’expériences, d’émotions, de sensations. En fait, je ne connais qu’un tout petit peu la musique, j’ai encore mille choses à découvrir et j’ai en face de moi des gens qui connaissent un tout petit peu la musique et qui ont des choses à me faire découvrir.
C’est quoi une journée type chez Tiki ?
Ce qu’il faut distinguer c’est ce que les gens voient et ce qu’ils ne voient pas, c’est-à-dire que c’est un métier où tu dois travailler 24h/24 – 7j/7 sans en avoir l’impression. L’idée c’est de fournir aux gens de la nouveauté, des choses qui ne sont pas disponibles en France par exemple. Et c’est ce travail en amont que les gens ne voient pas que je fais soit au magasin, soit chez moi, c’est le fait de surprendre les gens, leur proposer des albums qu’ils n’ont pas vu chez les autres.
Donc il n’y a pas vraiment de journée type ?
Effectivement, si ce n’est qu’il y a tout de même un travail d’organisation, de gestion, de recherche que je fais en amont. Puis quand je suis ouvert c’est accueillir les gens, être à leur écoute et aussi en mesure de leur proposer des choses sans qu’ils aient l’impression que tu aies travaillé des heures et des heures auparavant. Ça c’est génial.
Quelles sont les qualités indispensables pour être un bon disquaire selon toi ?
Avoir les cheveux longs surtout. -Rires-
Non en fait c’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre parce qu’aujourd’hui on est environ 300 disquaires en France et on est 300 magasins différents. En fait je crois que dans ce genre de métiers, qui implique l’affecte, la passion, il est important de ne pas mentir. C’est-à-dire qu’il faut à la fois aimer les musiques mais aussi aimer les autres, aimer les gens et aimer faire passer ce type de vibrations. Tu écoutes de la musique, tu as de l’émotion, tu vas rencontrer un disquaire et bien j’espère que tu as le même type d’émotion, en forcément moins fort sinon j’aurai des groupies qui s’arracheraient ma vertu ce qui n’est pas le cas. Ce sont les qualités humaines qui comptent, ensuite tu peux y ajouter les qualités d’organisation et de gestion parce qu’il faut aussi passer par là.
Si tu devais retenir une qualité déterminante laquelle serait-ce ?
Selon moi, la principale vertu est la sincérité, le partage, la générosité. Il faut à la fois être rigoureux dans la partie off mais à côté, s’il faut passer des heures avec un client pour l’aider et bien il faut le faire. Dans des métiers comme le notre, tu ne peux pas mentir, tu ne peux pas faire semblant. La passion doit transpirer dans ce que tu dis et j’essaie de faire ce job avec mes tripes, mon cœur et un peu d’esprit.
Qu’est-ce que tu écoutais chez toi quand tu étais adolescent ?
Des groupes comme Deep Purple, Led Zeppelin mais le groupe qui m’a le plus marqué c’est Queen. J’ai acheté le premier 45 tours de Queen en 1979 et je l’ai toujours, la claque que j’ai prise sur les premiers morceaux est restée indélébile. Puis j’achète le premier album de Queen, le live de Deep Purple “Made in Japan“, l’album des Sex Pistoles “Never Mind the Bollocks“ et ainsi de suite. Ces albums-là sont gravés en moi et aujourd’hui ce sont des albums que je vends. Je t’avouerai, et je le rencontre avec tous mes clients, à chaque fois qu’un client me dit : “j’adore ce groupe” et bien je suis à peu près sûr qu’il l’a écouté quand il était plus jeune. En fait, quand tu as tes premières émotions avec la musique, ces dernières restent toujours gravées en toi.
Tu donnes beaucoup d’importance à ces premières émotions, essaies-tu de provoquer cela chez les jeunes ?
Bien sûr ! Lorsque des jeunes s’intéressent à ce type d’albums, j’essaie de faire en sorte que ces moments restent marqués dans leurs vies et je me dis que la boucle est pratiquement bouclée, j’espère qu’ils vont continuer de venir me voir jusqu’à mon départ. L’idée de la musique c’est que ça rythme ta vie donc si toi tu as 20 ans et bien aujourd’hui tu es rythmée avec la musique que tu peux écouter mais ça ne t’empêche pas de t’approprier la musique de tes parents ou de tes grands parents. C’est une histoire que tu écris avec la musique ou pas, mais enfin si tu n’en écoute pas, moi je ne peux plus rien faire pour toi.
Du temps où le Covid n’existait pas, tu réalisais de nombreux événements, pourquoi ce choix ?
En fait, dans les années 1970 – 1980, il y avait plus de 2000 disquaires donc si tu voulais écouter de la musique, la seule façon était d’aller chez ton disquaire et d’acheter ton 45 tours. Depuis l’avènement de cette machine du diable (les plateformes de distribution musicale en streaming), tu peux rester chez toi et écouter toute la discographie d’Arctic Monkeys, des Beatles, des Rolling Stones, d’Angèle, de qui tu veux. Nous, notre rôle est d’essayer de continuer ce métier de défricheur d’artistes qu’ils soient lyonnais, français ou internationaux. Mais de proposer aussi à ces artistes de venir à la boutique rencontrer leurs fans, et inversement. Encore une fois, c’est un véritable partage d’émotions et j’espère que je contribue modestement à cela. C’est l’idée que les gens puissent découvrir des choses en ligne et que nous, on puisse leur proposer une nouvelle façon d’écouter, un autre processus qui s’inscrit dans la durée. Là, ils soutiennent réellement les artistes parce qu’il y aura une émotion bien plus importante que si tu vas l’écouter sur Spotitruc (Spotify) ou Deebidule (Deezer).
Est-ce qu’il y a des choses de prévues pour les mois à venir ?
Effectivement depuis que l’on a rouvert, on essaie quand c’est possible de faire des choses. Alors on ne fait plus de petits concerts comme on le faisait précédemment mais on fait quand même des rencontres/dédicaces. On aimerait faire plus mais aujourd’hui la situation est telle que l’on est obligés de rester un peu modestes.
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Propos recueillis par Emma Willery
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