Otello – Rossini – Théâtre des Champs-Elysées
Le monde de l’opéra est parfois injuste. Depuis l’arrivée en 1887 de l’Otello de Verdi, la version de Rossini a rapidement perdu de son ampleur avant de ne refaire surface que récemment. Après la présentation l’année dernière de Tancrède au TCE, les opéras séria de Rossini sont à nouveau à l’honneur.
De Shakespeare à Berio di Salsa
Second d’une série de neuf ouvrages composés pour Naples par Rossini, cet Otello est librement inspiré de l’œuvre de Shakespeare et aurait pu à l’inverse porter le nom de son héroïne, Desdemona. Sa présence est la source de tous les maux qui guident cet opéra, à tel point que la trahison de Iago passe au second plan et que le nœud de l’intrigue tourne autour de la confrontation entre Rodrigo et Otello. Aspect étonnant, ces trois personnages sont interprétés par des ténors de tessitures différentes (Otello est proche du bari-ténor), ce qui donne droit à des duels saisissants lors de certains duos inoubliables.
Tragédie lyrique en trois actes, l’originalité de l’œuvre provient aussi de la différence notoire qui existe entre ces trois parties. Le premier acte prend tout d’abord son ampleur grâce à son final si rossinien. Le deuxième est le plus réussi grâce à l’air de souffrance de Rodrigo, un duo de vengeance entre Iago et Otello et un trio entre Rodrigo, Otello et Desdemona, la femme qu’ils se disputent. Enfin, le troisième acte est le plus shakespearien, le plus tragique et le plus émouvant. Il annonce Verdi par ses longues orchestrations, particulièrement lors de l’air de Desdemona et durant le sinistre final qui conclue l’opéra. Ovni dans la partition et dans l’œuvre de Rossini, le chant du gondolier Nessun maggior dolore est bouleversant. Le librettiste Berio di Salsa a tout de même pris certains raccourcis et expédie rapidement la fin de l’histoire par des retournements assez invraisemblables. Détails assez courants chez Rossini et qui enlève de la crédibilité à l’œuvre.
Pido, maître des lieux. Krochak, star de la soirée
L’orchestre et le chœur de l’Opéra de Lyon étaient sous la direction du Maestro Evelino Pido. La verve italienne du chef orchestre semble contagieuse tant son expressivité se retranscrit au son des couleurs orchestrales. Cet Otello est un exercice assez périlleux de par ses passages nerveux et ensembles parsemés d’instants mélancoliques et dramatiques. Pido vit pour l’opéra. Il sautille, s’accroupie, mimique certains détails. Il est partout à la fois et sensiblement proche des chanteurs. Une belle fluidité.
Il faut dire que la distribution était de mise. On émettra d’abord quelques réserves sur la basse de Marco Vinco (Elmiro, père de Desdemona). Si ce rôle d’autorité lui convient mieux que celui de Mustafa dans L’italienne à Alger à Garnier, elle peine à remporter les suffrages. Le grand mérite revient avant tout à Dmitry Korchak (Rodrigo). On a rarement entendu un ténor aussi dynamique et habité, bénéficiant de vocalises impressionnantes et au timbre accrocheur. Son air Che sacolto ? ahimé, che dici fait partie de ces rares moments où l’on reste scotché à son siège. Son duo avec Otello dans Ah vieni, net tuo sangue vendichero le offese est un vrai duel qui se joue entre les deux ténors. John Osborn rivalise avec brio dans le rôle du maure de Venise. Dommage que Rossini n’ait pas composé d’air qui lui soit proprement consacré. Il en est de même pour le rôle de Iago interprété par José Manuel Zapata. On connaît son timbre et sa passion pour Rossini : il se défend ainsi sans faille dans les duels. Un air qui lui soit consacré manque aussi malheureusement à l’appel. Enfin, Anna Caterina Antonacci fait une parfaite Desdemona. Son air Assisa a’piè d’un salice accompagné d’une harpe magique est tout en émotion grâce à un calme assuré et une sobriété assumé. Notons une petite réserve pour le chœur de l’Opéra de Lyon qui manquait quelque peu d’enthousiasme.
Cette représentation a fait l’objet d’une captation qui sera diffusée sur France Musique le samedi 20 novembre à 19h.
Edouard Brane
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