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Pourquoi la musique urbaine britannique peut-elle s’imposer dans les prochaines années en France ?

Corentin Bernard 17 décembre 2020
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Skepta en 2016 © Ashley Verse

Sur le territoire britannique, la musique urbaine locale s’est installée à une échelle mainstream depuis 6 ou 7 ans notamment de par l’essor et le succès d’albums provenant d’artistes comme Skepta ou Stormzy. Cette musique made in UK a su s’imprégner à petite échelle aux États-Unis, ce qui permet à certains artistes de faire une tournée américaine ou même de participer à de gros featurings comme Praise The Lord (Da Shine) d’Asap Rocky et Skepta ou le dernier Only You Freestyle de Drake et Headie One. Autant dire que le fait qu’il n’y ait pas la barrière linguistique aide fortement. Hors en France, le hip-hop britannique est vraiment un style de niche, très peu répandu et écouté. Voici pourquoi je pense que l’urbain UK a les moyens de s’implanter en France dans les prochaines années.

De par son histoire

Un des socles, si ce n’est le socle de la musique urbaine UK, est très clairement le grime. Le grime est un style musical qui naît à Londres au début des années 2000 et qui peut se définir globalement comme une évolution de la musique garage et de la sound system jamaïcaine, le tout sous un fond de culture hip-pop. Généralement, le premier ressenti qu’on a en écoutant du grime, c’est un sentiment d’agressivité et cela se fait notamment de par des “instrumentals” très saccadés et des tempos parfois hors-temps ce qui rend le grime des années 2000 comme un style très singulier et pas forcément à la portée de tout le monde.

Le grime a donc longtemps été underground sur le territoire britannique. Un des éléments clés qui a lancé son succès fut les freestyles sur les radios pirates de l’époque qui rendait la chose plus ou moins difficilement accessible. Il fallait vraiment chercher à écouter du grime.

On peut trouver comme artistes pionniers de ce mouvement les membres de Boy Better Know (label londonien de grime) dont JME, Frisco, Skepta ou encore Wiley. Kano et Dizzee Rascal sont également des têtes majeures de cette culture. D’ailleurs, l’album Boy In Da Corner de Dizzee Rascal sorti en 2003, est considéré par certains comme le premier très grand disque de grime.

De par son succès sur le territoire britannique

Le grime a longtemps été underground sur les Îles britanniques et a réussi à agrandir petit à petit son public au fil des années jusqu’à 2016 et grâce à l’album Konnichiwa de Skepta, qui selon moi marque l’histoire de cette musique, il y a vraiment un avant et après 2016 en terme de notoriété déjà pour Skepta mais surtout pour le grime. Ce qui fait que cet album est un tsunami au Royaume-Uni et que sur le fond c’est un album qui parle de sujets purement liés au grime comme le racisme, la vie des gangs de Londres ou encore de l’importance de l’authenticité individuelle. Mais là où Skepta a fait un énorme travail, c’est sur la forme ; on a un album qui sonne grime (flow saccadé, rythme cru) mais avec beaucoup plus de légèreté, de fluidité que d’habitude et de sonorités beaucoup plus accessibles. Pour Konnichiwa, il va être récompensé d’un disque d’or (100 000 ventes sur le territoire soit l’équivalent d’un disque de platine en France), il va performer Shutdown le titre phare du projet aux Brit Awards (l’équivalent des Grammy Awards en Angleterre) et va remporter un prix Mercury en 2016.

La porte du mainstream est ouverte pour le grime, des artistes vont exploser les stats d’écoute et certifications. Je pense notamment à Stormzy et son album Gang Signs & Prayer paru en 2017 qui devient le premier album grime à être numéro 1 des charts britanniques. 

De par la variété de la scène musicale britannique

Aujourd’hui, à la tête du grime, on a des artistes comme Stormzy et Skepta qui ont des gros succès commerciaux mais il est bon à savoir qu’il n’y a pas que le grime au Royaume-Uni, l’exemple avec Dave qui nous sort en 2019 un album magnifique, Physchodrama, qui se place très haut dans les charts. Avec Dave, on est sur un artiste originaire du grime mais qui en évoluant, finit par innover totalement afin de nous sortir un projet finalement rap (le rap étant différent du grime, ce ne sont pas les mêmes origines). Dans une émission de NoFun (ancien podcast sur le rap en général), le journaliste Raphaël Da Cruz a évoqué que selon lui, Dave lui fait penser à Kendrick Lamar dans son approche musicale, on est loin d’une comparaison avec un grimeur mais bien avec un rappeur américain qui pour certains représente le rap dans sa plus grande splendeur.

Depuis 4 ou 5 ans on retrouve plusieurs artistes dans le même cas de Dave et on constate mieux cette évolution du hip-hop qui s’ouvre vers le rap. Je pense, par exemple, au groupe D-Block Europe ou même Aitch (malgré l’accent très Manchester). Pour D-Block Europe, le rappeur Young ADZ, par exemple, a une attitude très américaine que ce soit musicale ou vestimentaire (il est très vêtements de luxe, gros bijoux et j’en passe… chose qui n’est pas importante dans la culture grime). Sur le plan rap, Skepta continue de grimer mais il fait également, depuis 2 ou 3 ans, du rap notamment sur quelques sons de son dernier album studio en trio avec Chip et Young ADZ, Mains, ou même sur son dernier solo Ignorance is Bliss (si vous êtes curieux, je vous conseille vraiment de prendre le temps d’aller écouter ce disque qui, selon moi est l’un des meilleurs albums que j’ai jamais écoutés). D’autres styles ont donc émergé dont le rap et surtout on va le voir tout de suite, la drill, qui va rencontrer une réelle hype que ce soit au Royaume-uni, aux États-Unis ou même en France.

La drill est un sous-genre du rap, elle est née du côté de Chicago au début des années 2010 mais elle va vite s’exporter en Angleterre là où elle va énormément évoluer. Elle s’est vite retrouvée comme représentante de la musique des guerres des gangs de Londres avec donc ce sujet comme thème principal et tout une image qui va suivre de cela. C’est-à-dire qu’une partie des artistes vont se cagouler afin qu’ils ne soient pas reconnaissables par la police (la juridiction britannique étant beaucoup plus stricte qu’en France). Actuellement, on a des artistes comme SL, Dutchavelli ou Headie One qui sont maitres de ce style outre-Manche.

En France, ce qui fait la force du hip-hop et du rap c’est l’immense variété de styles et d’artistes intrinsèques au mouvement, on peut écouter du Georgio puis du Laylow et ensuite du Kaaris. C’est pour cette raison que c’est compliqué de dire qu’on déteste le rap en France. Au Royaume-Uni, la diversité est présente, comme cité ci-dessus pour le grime, le rap ou la drill mais dotant plus quand on s’intéresse aux artistes au cas par cas. Si vous écoutez du Slowthai par exemple, on va être sur un rap beaucoup plus punk et (extrêmement) délirant juste à écouter une de ses chansons phares, Doorman. Ensuite, si vous écoutez du JME vous allez retrouver ce côté pur du grime des premières heures et pour approfondir le panel on peut citer AJ Tracey où l’on retrouve pas mal de musicalité 2-step (style d’électro né en Angleterre et très proche du UK garage).

De par la proximité avec la scène américaine

Le fait que certains rappeurs américains soient fans et se montrent proches de la scène musicale britannique influence forcément leur communauté francophone. Drake à un immense public en France, juste à constater qu’il a rempli trois Bercy en 2017. Ce dernier est certainement l’artiste hip-hop le plus proche des Anglais, dans sa mixtape More Life on y trouve un interlude totalement interprété par Skepta, Skepta Interlude.

Plus haut, je parlais du titre Shutdown de Skepta, il est bon à savoir que Drake a été samplé sur le début et la fin du son. Récemment, il a collaboré avec Headie One sur Only You Freestyle.

En 2019, le Canadien a produit la troisième saison de Top Boy sur Netflix, une série sur des gangsters de Londres très proche de cette culture hip-hop et qui fut un très gros succès. Elle viendra nous délivrer une excellente mixtape de BO Top Boy (A Selection of Music Inspired by the Series). Il est d’ailleurs important de spécifier que la plupart des acteurs majeurs de cette série sont des artistes de la scène UK comme Dave, Kano, Asher D, Little Simz ou encore Bashy.

Le collectif Asap Mob également très proche de cette scène, notamment Asap Rocky et Asap Nast qui ont déjà fait plusieurs featurings avec des artistes britanniques dont l’énorme tube Praise the Lord (da shine) avec Skepta.

L’autre grand moment de coalition entre des artistes américains et britanniques fut, lors des Brit Awards 2015, lorsque Kanye West a invité un bon nombre d’artistes UK sur scène pour l’accompagner sur sa performance de All Day.

Plus récemment, c’est l’artiste défunt Pop Smoke qui avait cité Headie One comme une inspiration majeure.

De par les influences sur les artistes francophones

La raison principale pour laquelle je pense que la scène urbaine UK peut fortement s’implanter en France, c’est en voyant l’influence qu’elle a sur les artistes de l’Hexagone. À commencer par l’immense influence dans le style de la drill. Par exemple, une majorité des “instrumentals” drill français à l’heure actuelle sont des (presque) copies des Anglaises sans plus-value française, de plus une partie des drills francophones utilisent les identités musicales britanniques notamment en ce cachant le visage, comme si le risque était le même ici qu’outre-Manche.

Certains artistes s’inspirent à grande ou petite échelle de ce qui se fait au Royaume-Uni, Orelsan, Damso ou Kekra ont déjà rappé sur des instrumentals 2-step, Kekra lui a déjà fait un featuring avec Dutchavelli et a fait un remix de That’s not Me de Skepta et JME.

Depuis quelques années, on assiste à une croissance des collaborations entre artistes francophones et britanniques. Récemment, on a pu écouter un morceau entre l’artiste belge Hamza et Young ADZ  : Benzo, Les rumeurs nous parlent d’une collaboration entre Niska et Skepta mais qui n’a pas vu le jour. Dans une interview, PLK disait qu’il devait y avoir un driller UK dans son dernier album, Enna, mais que cela n’a pas pu finalement se faire. Orelsan invite Dizzee Rascal dans Zone avec Nekfeu et bien sûr le dernier album d’Aya Nakamura, Aya, contient deux featurings avec des Anglais : Stormzy et Ms Banks, rien que ça.

Après tout cela, je pense que l’urbain britannique peut s’implanter en France dans les prochaines années et ainsi devenir une part entière dans le paysage musical francophone.

Pour découvrir et écouter les artistes britanniques, je vous invite à écouter cette playlist créée et alimentée par mes soins : https://biglink.to/ukflow


Corentin Bernard

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