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Ph Trigano : “Mon but c’est de créer mes propres codes”

Ph Trigano est un artiste aux multiples facettes : producteur, chanteur, réalisateur et membre du collectif Bon Gamin. Vous l’avez peut-être déjà entendu avec son titre Faisons l’amour, ou bien à la production de certains titres de Loveni ou encore d’Ichon.
Rencontre avec “le Français le plus californien de France”, auteur de Poésie humaine.

Comment t’es-tu tourné vers la musique ? 

J’ai toujours aimé la musique. Le déclic s’est fait à 11 ans, j’ai vu une guitare acoustique et j’ai tanné mon père pour qu’il me l’achète. Et puis il a fini par céder ! Je me souviens encore de l’odeur du magasin, c’était ouf ! Après toute mon adolescence j’ai appris à jouer de la musique parce que j’aimais ça. Puis je me suis mis à la prod à 18 ans et je n’ai pas arrêté depuis.

Et comment as-tu su que tu voulais en faire ton métier ? 

Je ne me voyais pas faire autre chose, même si je sais faire d’autres trucs comme la vidéo par exemple. Étant ado je ne voulais faire que ça. Puis je me suis remis en question en étant jeune adulte, avec le début des responsabilités, mon entourage qui changeait et mon rapport à la musique aussi. Du coup j’ai fait de la vidéo pendant pas mal de temps, mais la musique a repris le pas. J’ai fait une pause pendant deux ans où je me suis concentré sur la vidéo, de la pub ​entre autre… Je fais toujours de la vidéo parce que c’est cool aussi, mais la musique ​est revenue en occupant maintenant la plupart de mon temps.

Comment décrirais-tu ton style ? Est-ce que tu te places dans une case ou tu te laisses le champs libre de faire tout ce que tu veux ? 

Je pense qu’on aime tous faire tout ce qu’on veut ! ​Selon moi si t’es bon dans plein de trucs, tu réussis à faire ce que tu veux. Donc ​j’essaye d’être bon partout. Je ne sais pas si je le suis, ​c’est difficile. Mais j’essaie tous les jours de m’améliorer dans pleins de styles, que ce soit ​le rap, la pop un peu synthétique, l’écriture… Je ne saurais pas me mettre dans une catégorie, je laisse aux gens le soin de le faire, moi je m’en fous, je veux juste être libre. Je pense que les auditeurs ont besoin de s’inscrire dans des cases, se dire moi j’écoute du rap, du rock… ​Pour ma part, je trouve que plus on grandit plus on aime avoir ​l’esprit plus large et varier les ​plaisirs.

Quelles sont tes influences ?

Ce que j’écoute est super varié, le but c’est que la chanson me touche​. Mais j’ai un mentor : Gainsbourg. J’aime sa manière d’écrire. Pour moi, personne en France n’a écrit comme lui. S’il n’y avait pas Gainsbourg, je ​ne pense ​pas que je chanterais en français. ​Aussi, musicalement son parcours est intéressant. Il avait une éducation classique, il a appris Chopin, Debussy, et il les a détournés. C’est ​ça que j’aime chez lui, il était ultra libre dans sa façon de créer. Il prenait tous ces codes, il les digérait, et ​il se les appropriait en en formant de nouveaux. Lui il écrivait en pensant à Baudelaire, qui lui-même s’inspirait de Théophile Gaultier. C’est ça qui est magnifique dans cette culture ​française, il y a une passation incroyable, l’amour du mot. C’est sûrement pour ça que j’aime le rap. Je trouve que les rappeurs écrivent bien mieux que les chanteurs de variété française. Ils cultivent cet amour du mot, il y a ce côté multi-syllabique, tu vas faire des rimes recherchées, des allitérations… Quand tu chantes ​ces paroles, ça a un ​poids beaucoup plus lourd qu’une simple rime.
Kanye West m’inspire beaucoup aussi (je le préfère dans ses albums que dans la presse). ​Notamment le Kanye du début, dans lequel ​on retrouve vraiment sa grâce et son talent. Tout ce qu’il touche il le transforme en quelque chose d’autre, ​en une œuvre incroyable. Ceux qui m’inspirent sont ​ces gens-là, ceux qui sont vraiment ouverts, qui touchent à tout. Ceux qui ​mélangent leur culture à celle des autres, mais aussi celle de leurs origines ​à celles qui sont à l’opposé. C’est ce métissage qui apporte une fraîcheur… ​Ces gens-là sont de vrais créateurs.

© Ph Trigano

Quelle est ton aspiration dans la musique ?

Comme je disais avec Gainsbourg, pour moi c’est de créer mes propres codes.

Que cherches-tu à faire passer à travers ta musique ? Pour toi c’est important de faire passer un message ?

C’est marrant que tu me poses cette question, parce qu’Ichon sort le premier single de son album, Passe le message (disponible sur toutes les plateformes de streaming), sur lequel je bosse depuis trois ans ce soir. Je voulais faire une parenthèse là-dessus parce que c’est important pour moi. C’est un travail ​de longue haleine avec un vrai ami, quelqu’un que j’admire énormément.
Mon but avec ​ma musique c’est de répondre à des questions internes qui peuvent raisonner chez les autres. Pour moi c’est ça le but de la musique, c’est essayer d’écrire quelque chose qui part de toi et qui va pouvoir aider quelqu’un à se dire : “Ah ! Il a mis le doigt sur quelque chose que je ressentais mais que je n’ai pas eu le temps de comprendre, ou que je n’arrivais pas à ​exprimer”. C’est ce que j’essaie de faire modestement.

C’est quoi le message de ton prochain projet ?

Ce projet parle d’amour ​principalement. J’ai grandi en étant inspiré par les femmes et mon rapport à elles. J’ai beaucoup écrit là-dessus, et je continue aujourd’hui. Ce ​projet parle ​donc beaucoup des relations hommes/femmes. J’ai fais pas mal de recherches pour cette mixtape, sur la condition féminine, sur la femme ​et sa vision des choses… C’est quelque chose qui me fascine depuis ​longtemps. ​Donc j’essaie de me mettre à leur place, chose qu’on ne fait pas souvent. Qu’est-ce qui fait qu’une femme ressent telle ou telle chose ? Pourquoi je ne les comprends pas parfois ? Est-ce que ce qu’elles aiment c’est quelque chose d’​intrinsèque à leurs personnalités ou ​est-ce ​plutôt quelque chose de conditionné par la société ? ​Évidemment il n’y a pas de règles, mais c’est intéressant d’en discuter.
​Aussi, avec ce projet j’essaie de comprendre ce qui se passe en moi. Peut-être ​ai-je été conditionné dans ma jeunesse, à ​aller vers le grand amour comme une drogue en regardant des Disney. Ou peut-être que mon ADN me pousse à vouloir ça ? ​Du coup, mon projet ​est une réflexion, presque comme de la philo ! Il y a un morceau qui s’appelle Amour Digital, ça parle de l’amour sur les réseaux, ce que ça change sur nos rapports amoureux… Je parle de ce que j’ai ressenti en faisant ça, et j’espère que certaines personnes se retrouveront dedans.

Tu as plusieurs casquettes, aussi bien producteur que chanteur, réalisateur, membre du collectif Bon Gamin… Comment gères-tu tout ça ? Qu’est-ce qui te fait travailler sur un projet plutôt qu’un autre ? 

Je prends les choses comme elles viennent, tout dépend de l’ambition du projet. Par exemple, ​Ichon est quelqu’un d’extrêmement ambitieux, dans le bon sens du terme. Il a envie de créer quelque chose ​de neuf et d’aller jusqu’au bout, il prend des risques.
​Le projet en devient de plus en plus important, ​par l’ambition de l’artiste et à quel point il à envie de se ​différencier et de s’en donner les moyens. Un texte bien écrit c’est dur, ça prend beaucoup de temps, de conversations, de remises en question… ​Tu peux facilement faire la différence entre un vrai projet artistique et quelqu’un qui a juste envie d’être vu… ​J’aime les deux ; les bangers qui font bouger, et les œuvres qui font réfléchir et qui nourrissent une envie de voir et entendre des choses nouvelles.
Quoi qu’il en soit j’essaie toujours de bien faire mon travail et d’amener les choses à un autre niveau. ​Je vois la musique comme de l’artisanat avant tout, comme un designer de costumes. Que tu veuilles un costume fluo ou alors un truc classique, il y a certains boutons qu’il faut mettre au bon endroit, et des coupes qui vont plus ou moins bien à la personne qui le porte.

C’est important pour toi d’avoir plusieurs formes d’expressions créatives ? Tu mélanges les disciplines ou tu te focalises sur une seule à la fois ?

C’est ​notamment par nécessité que je fais ça, je suis difficile à satisfaire… J’aime beaucoup la photo, le cinéma, j’ai des goûts très prononcés et j​’essaie de bien les satisfaire… ​Et puis je trouve que créativement, faire plusieurs choses en même temps c’est complémentaire. Tu vas apprendre un truc en vidéo, que tu peux adapter en musique. Ça t’aide à voir les domaines différemment et à avoir un regard plus frais ​sur l’un ou l’autre domaine. Je pense que tout va ensemble, ​et de plus en plus aujourd’hui. Parfois tu regardes un clip dont tu n’aurais peut-être pas autant aimé la musique sans l’image. C’est comme dans un film de Tarantino, l’image et le son ont une alchimie ​magique… Ce n’est pas pour rien qu’il y a autant de musique dans le cinéma, les deux sont indissociables. Comme j’aime les deux, et que je sais faire les deux, ​je veux pouvoir m’exprimer en m’en servant.

Comment se passe l’écriture de tes textes ? Ça varie selon si la prod est pour toi ou pour un autre artiste ? 

Quand j’écris mes textes, j’aime être seul, il le faut même. En confinement c’est parfait. Parfois je mets trois jours pour un texte ou pour deux phrases… C’est important que je n’ai pas à faire attention à quelqu’un d’autre. Je dois aller au fond de ma pensée, sans être pressé par le temps, pour avoir le mot juste à chaque fois.
Quand je produis pour d’autres artistes, j’aime être avec eux dans la pièce. Il y a une énergie particulière ​en étant avec plusieurs humains qui rigolent, qui réfléchissent ​avec toi, ​ça met une autre vibe… Il y a eu des sessions avec Bon Gamin où c’était vraiment la fête au studio. Le feat Loveni et Ichon Relance, quand on a fait la track, on devait être dix dans le studio ! Ça fumait dans tous les sens, j’étais le seul mec sobre ​à l’époque c’était drôle !
​Mais en vrai j’aime bien ​les deux, être en studio en ville, ou tranquille à la campagne, tout dépend du projet en fait !

Sur ton premier EP Poésie humaine, j’ai trouvé l’univers artistique assez prononcé, que ça soit les morceaux ou le clip de Faisons l’amour que tu as toi-même réalisé… C’est important pour toi d’affirmer une esthétique ?

Toute la musique que j’aime, les films que j’aime, ils ont des identités très prononcées. Pour moi si on aime Tarantino, Scorsese ou Wes Anderson, c’est pour leurs univers. Pareil pour le premier album des Arctic Monkeys ou ​toutes les prods de Pharell Williams ​et des Neptunes, leurs identités ​sont marquées… Je pourrais en parler pendant des heures… Tous ces gens-là sont très talentueux et créatifs. Moi j’ai envie d’aller écouter un artiste parce que c’est ​ce son que j’ai envie d’écouter à un instant t. ​Peut-être que c’est que comme ça que tu peux avoir un propos qui va toucher les gens, et qui va faire qu’ils vont t’écouter. ​Et puis ​j’essaie d’emmener les gens en voyage.
Ça me fait plaisir que tu me le dises, car on en doute toujours un peu, on se demande si les autres l’entendent. Je sais ce que j’essaie de faire, je connais mon processus, mais je ne sais pas toujours si les gens vont être réceptifs.

Aucun featuring sur cet EP, c’était une volonté de ta part de faire un projet totalement solo ? 

Ce qui est sûr, c’est que quand tu es tout seul, tu es l’unique personne à prendre les décisions. Je passe la plupart de mon temps à essayer de convaincre, à faire des compromis, de la diplomatie. Et c’est cool, ça fait partie du job. Mais à ce moment-là, j’avais besoin de faire quelque chose qui me parlait. Je n’ai pas ressenti la nécessité de faire des feat… Sur mon prochain projet il y en aura, parce que le projet est plus long. C’est pratique d’avoir des amis super talentueux autour de toi pour t’aider sur un morceau ! C’est ce qui est génial avec le featuring, les univers se confondent. Faire un feat pour faire un feat ça ne m’intéresse pas. J’aime les featuring humains, quand ce sont des artistes avec qui ​je kiffe être, qui vont apporter leur vision à mon thème. C’est comme redécouvrir ​ton propre morceau.

Tu es resté créatif pendant ce confinement… Est-ce que ça a changé ta façon de créer ou t’es-tu imposé les mêmes règles ? 

Ce qui est cool c’est que j’ai eu plus de temps pour moi. ​Quand t’es seul face à toi-même, ​tu vis et écris différemment. Si ​l’on n’était pas confinés, peut-être que j’aurais fais une pause pendant l’écriture pour aller boire un verre en terrasse mais là ce n’est pas possible ! (rires) Du coup, ​je suis vraiment allé au fond de ma tête car c’était mon seul échappatoire. On n’a plus toute cette pression sociale, on n’a pas besoin de faire de choses futiles, on peut se focus à fond. C’est vrai que c’est très dur comme période, pour le personnel hospitalier, pour les gens malades et leurs proches, mais moi ce confinement m’a fait du bien. ​J’essaie de prendre ça comme une chance, car ma situation à moi n’est pas aussi compliquée que celle de ces gens-là. C’est juste un mauvais moment à passer, et si ça me permet d’être créatif tant mieux.

Tu nous dis qu’il n’y a plus de pression sociale, mais beaucoup d’artistes sortent de nouveaux projets, de nouveaux clips, ils communiquent beaucoup sur les réseaux… Qu’en penses-tu ?

C’est drôle que tu parles de ça, je vais encore parler d’Ichon (rires). On a eu cette discussion il y a longtemps ​quand on était en train d’enregistrer son album et qu’il sortait de pas mal d’années de tournée. Il a décidé de ne plus poster sur les réseaux ​tant qu’il n’avait pas un titre à défendre. ​Maintenant qu’il va sortir son projet, il a décidé de revenir. Mais pas n’importe comment, avec des titres, des vidéos et une réelle proposition artistique.
​Je trouve que c’est ça le problème des réseaux ; beaucoup de gens n’ont rien à dire mais postent quand même. Il faut s’éloigner de ça. Et si à un moment tu sens que tu as quelque chose d’important à dire, dis le. Certains manager demandent à leurs artistes de poster telle ou telle chose ​alors qu’ils n’ont pas de titres à défendre… ​Si tu es musicien, à partir du moment où tu fais de la musique, il y aura du monde pour l’écouter. ​Et si tu n’as pas autant d’attention que ce que tu veux, c’est qu’un truc n’a pas fonctionné. Et ce n’est pas grave, tu feras mieux ​la fois suivante. Mais si tu postes pour rien, tu deviens influencé plus qu’artiste, et c’est dommage de ne pas essayer de se démarquer. Ce n’est pas parce que tu postes à longueur de journée que les gens vont tomber amoureux de toi. Il faut ​continuer à défendre l’art comme un objet important. Si tu es un artiste, reste le, et essaie de dire les choses différemment. C’est notre rôle de dire que là on pète un câble et qu’il faut se remettre en question. Notre but c’est d’ouvrir le débat, de partager des idées… Pas de poster des selfies. Il faut redonner confiance aux artistes ​et aux gens, notre rôle c’est ​justement de ne pas être ​victime de tout ça. ​Une œuvre dure mieux dans le temps qu’un post qui lui est par définition jetable.

Tu as sorti sur Insta Ce qui se passe pendant le confinement reste en confinement Vol.1, peux-tu nous en dire plus ?

Je me faisais chier… (rires) J’avais un caméscope, un studio, un endroit joli… Ça me faisait marrer de faire ça. J’avais envie d’écrire sur la solitude, et puis d’envoyer du love. Oui on est seul, c’est relou, mais on est seul de toutes façon ​dans la vie. C’était quelque chose de spontané, je pouvais le faire sur le moment, alors je l’ai fait. Je pense qu’une fois le confinement terminé je le supprimerais. Et puis voilà, ce qui se passe pendant le confinement reste en confinement.

© Ph Trigano

Tu vas bientôt sortir ton projet, c’était pour maintenant ou la période a précipité les choses ?

Non, ce n’était pas pour maintenant, mais du coup j’ai eu le temps de le terminer, ​et de bien gérer l’aspect business du truc… Donc je vais commencer à sortir des choses assez rapidement, je n’ai plus qu’à choisir mes titres et bien finaliser tout ça. Sans oublier les clips, les images… Mais ça arrive bientôt !

Et pour finir, la scène te manque ? 

Pas du tout ! (rires) J’aime bien jouer, mais je préfère la création. Je me sens mieux quand je fais des morceaux, des clips, ​du graphisme… La scène c’est cool, c’est important, c’est un bon moyen de créer un lien avec ​les gens qui peuvent kiffer ce que tu fais. Mais là pour le moment ça ne me manque pas, je suis bien comme ça ! Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir plus d’impact avec la création​… Peut-être que ce sera différent demain. Après il y a pas mal de mes potes que j’admire pour ça, Ichon, Loveni ou Swing… Ils sont faits pour ça, c’est incroyable à voir. ​Et j’ai hâte de rejouer avec eux. Moi ce que je propose c’est différent, j’aime bien briser la barrière avec le public, rigoler et profiter avec tout le monde. Mais pour l’instant, je ne ressens pas le manque ​en tout cas.

Propos recueillis par Apolline Erneste

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