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Où sont les femmes ?

© Natural Women Collection

On se souvient tous.tes de ce tube de Patrick Juvet qui a enflammé les soirées des années 1980. Pourtant, cette interrogation est bien moins festive appliquée à l’industrie musicale : seulement un tiers des artistes musicaux sont des femmes. Selon un rapport récent de Berklee’s Institute for Creative Entrepreneurship et de l’organisation Women In Music (WIM), aux États-Unis, 45% des femmes sondées ont affirmé que la discrimination de genre et le harcèlement sexuel étaient leurs plus grands défis dans l’industrie musicale.

Les réalités d’une professionnelle de la musique

Bien que le manque de parité femmes-hommes dans le monde professionnel soit présent dans l’esprit collectif et soit un enjeu reconnu par nos institutions, on ne retrouve pas toujours cette même considération dans les faits. Certains secteurs sont plus touchés que d’autres par ce phénomène d’inégalité. L’industrie musicale en fait partie. Le manque de parité femmes-hommes est l’un des maux de cette industrie mais pas seulement, le harcèlement sexuel y est également fréquent. Néanmoins, l’absence de statistiques et d’études portant sur ce sujet lui enlève de son importance et le rend abstrait pour bon nombre d’acteurs de ce secteur d’activité. C’est justement ce à quoi essaient de remédier certaines organisations comme Dr. Stacy L. Smith, avec le soutien d’autres experts, ainsi que l’USC Annenberg Inclusion Initiative et Spotify aux États-Unis ou encore le CNM (Centre national de la musique) en France. 

L’inclusion et la visibilité des femmes dans la musique sont moindres comparées à leurs homologues masculins. Le rapport réalisé par Dr. Stacy L. Smith nous apprend qu’à travers 900 chansons populaires, le ratio artiste féminine/artiste masculin est de 1 femme pour 3,6 hommes. En 2020, seulement 20,2% de ces 900 titres étaient portés par des femmes.

© Dr. Stacy L. Smith, 2021 – USC Annenberg Inclusion Initiative – Spotify

Dans le rôle de productrice, l’écart est d’autant plus flagrant : sur un échantillon de 600 chansons à succès, le ratio est de 1 productrice pour 38 producteurs. Même constat pour le travail de composition assuré par les femmes : 57,3% de 900 titres populaires ne comptent aucune femme dans leur processus de composition. 

Une autre cible d’étude dans ce rapport est la cérémonie incontournable des Grammy Awards, qui récompense les artistes musicaux ayant excellé dans leur art l’année passée. Le chiffre le plus frappant est le suivant : entre 2013 et 2021, seulement 13,4% des nominé.e.s aux Grammy Awards étaient des femmes.

© Dr. Stacy L. Smith, 2021 – USC Annenberg Inclusion Initiative – Spotify

Cette disparité se retrouve également dans l’industrie musicale française. Une nouvelle fois, les statistiques parlantes sur la situation des femmes dans ce secteur n’ont été produites que très récemment. 

Début 2020, le CNM initie une première étude sur “la visibilité des femmes dans les festivals de musique”. Deux ans après la montée du mouvement #MeToo, cette institution est née d’une fusion entre plusieurs organismes acteurs du secteur musical suite à la loi n° 2019-1100 du 30 octobre 2019. Pour cette étude statistique, le CNM a ainsi été épaulé par l’École des Médias et du Numérique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et la mission Diversité-Égalité du Ministère de la Culture, sous la direction de la professeure Joëlle Farchy. 

Cette étude réalisée sur un échantillon de 100 festivals a permis de mettre en lumière la faible présence des femmes, mais aussi des problèmes structurels dans le secteur de la musique de façon globale, ainsi que la manière dont les programmations jouent un rôle capital dans leur résolution. Les graphiques ci-dessous résument les principales statistiques tirées de cette étude.

© CNM – Centre national de la musique, 2021 – www.cnm.fr

“Le premier objectif est simple : objectiver des données, confirmer – ou infirmer –  ce qui relève encore trop souvent de l’intuition. Pendant très longtemps, ce qui n’était ni connu ni mesuré était trop facilement accepté. Ce temps est révolu.” — Jean-Philippe Thiellay, Président du CNM (Source CNM)

Le rapport produit par Annenberg Inclusion Initiative souligne deux éléments problématiques dans ses conclusions. Premièrement, malgré des initiatives encourageantes, l’industrie musicale a encore du chemin à parcourir pour réduire la marginalisation des femmes. Le fonctionnement global du secteur de la musique doit être optimisé pour favoriser la représentation des femmes dans ses acteurs. En effet, celles-ci représentent encore moins d’un tiers des artistes musicaux. 

Le second point soulevé par le rapport concerne la place des femmes de couleur dans les métiers de la musique, et la nécessité d’emprunter une direction intersectionnelle dans la recherche d’un secteur plus paritaire. Il est possible qu’une femme cumule plusieurs facteurs discriminatoires, en addition à son genre, tels que sa couleur de peau et/ou son orientation sexuelle. Son expérience de vie en tant que femme est donc différente d’une femme qui ne cumule pas d’autres motifs de discrimination.

Le racisme et les LGBTphobies sont souvent dissociés du sexisme. Pourtant, les défis auxquels fait face une artiste de couleur et/ou membre de la communauté LGBTQ+ ne s’apparentent pas toujours à ceux rencontrés par une artiste hétérosexuelle cisgenre — personne dont l’identité de genre concorde avec le genre qui lui a été attribué à la naissance. Ces freins nécessitent une réponse adéquate et ne peuvent pas être exclus des conversations autour de l’égal accès des genres aux professions musicales.

Vers une industrie musicale plus égalitaire 

En 2020, le label Epic Records fonde sa branche francophone et place une femme à sa tête, Pauline Duarte, une première pour une maison de disques en France. Elle a notamment figuré parmi la liste des 50 femmes les plus influentes du monde de l’entertainment, parue début 2021 dans le magazine américain Variety. 

Ce type d’actualité démontre que le secteur de la musique est en train d’évoluer vers un fonctionnement et une représentation plus paritaire des genres. Cela est soutenu par les conclusions du CNM suite à l’étude menée en 2020 : les sorties de contenu musical récent (entre 2015 et 2019) comptent plus d’artistes féminines qu’auparavant. En effet, 21% des sorties sur cette période ont été réalisées par des femmes, contre seulement 14% en moyenne sur toutes périodes confondues. Enfin, on constate une réduction de l’écart de genres dans les nominations de la quasi-totalité des catégories des Grammy Awards. 

Ces évolutions positives sont le fruit de l’effort des institutions régissant le secteur de la musique et des associations s’engageant pour une meilleure parité dans ce domaine.

L’une des nombreuses missions du CNM est de favoriser un accès égal des femmes et des hommes aux professions de la musique. Cette démarche est soutenue par le Ministère de la Culture, qui mandate le CNM pour mettre en place un plan d’action et un travail de sensibilisation auprès des structures de formation, de production et de diffusion musicale. En décembre 2020, avec l’appui de ce ministère et de représentants de la filière musicale, le CNM publie un protocole de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles.
Un autre élément fait partie intégrante du plan d’action du CNM : montrer l’exemple par son fonctionnement interne. Ses différents conseils démontrent une parité exemplaire et le CNM s’engage par sa participation à des initiatives comme la charte Keychange pour plus de diversité et d’égalité dans la musique. L’organisme est déterminé à soutenir et inciter les initiatives allant dans le sens d’une industrie musicale plus égalitaire, notamment par des subventions. Le CNM favorise aussi l’éducation et le débat sur ces sujets avec les Assises de l’égalité femmes-hommes dans la musique, tenues le 29 juin 2021 au Cabaret Sauvage (Parc de la Villette).

Des acteur.rice.s engagé.e.s

Les institutions nationales ne sont pas les seules à se mobiliser pour initier le changement au sein du secteur musical. De nombreuses initiatives, études et collectifs, se multiplient à l’échelle internationale. 

En voici quelques exemples :

En France…

  • L’association Change de disque qui se bat pour l’adoption de mesures concrètes pour la lutte contre toutes les discriminations envers les acteurs de la musique en France
  • Musiciennes&Co : un “réseau d’entraide, de soutien, de professionnalisation aux métiers de la musique pour et par les femmes, les personnes trans et/ou non-binaires”

Et ailleurs…

  • Le compte Instagram @amplifyhervoice pour des statistiques marquantes et des portraits d’artistes
  • Le projet DTS Inclusion Initiative qui accompagne l’industrie du live vers un milieu plus équitable pour tous.tes

© Amplify Her Voice – Instagram

Et du contenu pour aller plus loin sur la place de la femme au sein de l’industrie musicale hier, aujourd’hui et demain.

Des podcasts

Des webdocumentaires

  • FACE B – La place des femmes dans les musiques actuelles (réalisé par Émilie Cuendet et Hélène Larrouturou)



  • SOROR SONORE – Être une femme dans l’industrie musicale aujourd’hui (réalisé par Kahina At Amrouche-Hachi et Céleste Ramis)




Lisa Weissenbach

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