Muga : « on défend une langue qui est en train de mourir »
Programmées au festival Les Suds à Arles 2019, elles explorent le territoire musical de leurs racines en musique. Rencontre #3 avec Clara Diez Marquez, voix puissante et sans filtre du trio asturio-breton MUGA.
Quelle est ta relation au répertoire traditionnel des Asturies, au nord-ouest de l’Espagne ?
Le répertoire chanté par les femmes aux Asturies fait partie de ma vie. Je suis née dedans. Mes parents faisaient du collectage dans les années 80. Ils enregistraient les danses et les chants des Asturiennes. Et quand je suis née, je faisais partie de tout ça. J’ai appris à chanter et jouer de la percussion avec ces femmes là qui à ce moment-là, transmettaient ce savoir-là à mes parents.
Ces chants font partie de ma vie. Et aussi de ma conception de la beauté dans l’art : ce sont des chants très puissants qui sortent du plus profond de soi et qui vibrent partout dans le corps. Ça m’a énormément touchée quand j’étais petite. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui j’aime les choses fortes et un peu radicales. Ça a construit ma vision de beaucoup de choses.
Alors ton héritage, c’est plus que le répertoire en lui-même, c’est une manière de chanter ?
Oui c’est plus la voix, la puissance, et aussi le fait de ressentir les paroles que tu es en train de chanter.
On ressent dans ton live cette puissance très brute dont tu parles : elle vient de ton apprentissage auprès de ces femmes-là ?
Oui c’est ça. C’est comme jouer la percussion, je ne saurais pas te dire comment j’ai fait pour apprendre, mais je l’ai fait. Finalement l’apprentissage par imitation c’est ce qu’il a de plus efficace pour reproduire exactement ce que tu as vu et vécu.
Ta démarche s’inscrit-elle dans la même que tes parents : préserver et transmettre ?
Je ne sais pas exactement quelle était leur démarche mais à cette époque en Espagne, c’était la fin de la dictature, le début de la démocratie. Il y a eu un boom. On est passé du noir et blanc à la couleur. Les gens ont eu envie de faire beaucoup de choses et parmi ces choses là, il y avait le retour aux sources. Donc un groupe de jeunes s’est rendu compte que cette musique traditionnelle asturienne était encore vivante mais que la génération qui la portait, allait partir. Il fallait donc la préserver. Mais je pense que mes parents n’étaient pas conscients que ce qu’ils étaient en train de faire c’était aussi sauver une culture.
Sur scène tu disais qu’il y avait une dimension militante et politique à ta musique : peux-tu nous expliquer à quel niveau elle se situe pour toi ?
Elle est à différents niveaux : d’abord il s’agit de défendre une langue qui est en train de mourir et qui n’est pas défendue par les gens qui devraient la défendre, faire en sorte qu’elle soit enseignée à l’école et qu’elle continue à vivre. Ensuite c’est un acte de militantisme aussi parce-qu’on veut montrer l’importance de la place des femmes non seulement dans la musique mais aussi dans la vie : dans la tradition, aux Asturies, l’homme joue la cornemuse, la gaita. La femme elle chante. Mais le répertoire chanté par les femmes est délaissé, au profit du répertoire musical joué par les hommes. Or la musique vient du chant, tout vient du chant, c’est la base. Les femmes portent la langue, la parole, le chant. Et cette puissance-là peut nous apprendre beaucoup de choses.
Comment as-tu appris l’histoire de ce répertoire ?
Il y a des choses que j’ai toujours entendu dire par les femmes asturiennes. Mais quand j’ai grandi, je me suis un peu intéressée à d’autres travaux de collectage menés plutôt dans les années 50, par Alan Lomax par exemple. Ou à des travaux de collectage menés là ou je vis aujourd’hui en Bretagne.
Et la langue asturienne ?
C’est ma langue maternelle, elle m’a été transmise par ma famille. Puis j’ai appris le castillan à l’école.
On la parlait beaucoup autour de toi ?
Oui tout le monde parlait l’Asturien. Étonnamment, c’est encore vivant. Il y a encore des gamins qui ont 6 ans et qui parlent asturien. Après ils vont à l’école et on leur apprend que ce n’est pas bien, qu’il faut parler castillan. Mais la langue asturienne est encore parlée et transmise dans les familles. C’est juste qu’elle n’est pas enseignée à l’école. Et comme on habite de plus en plus en ville et de moins en moins à la campagne, on est « contaminé » par le castillan : les médias, la radio, la télé, les journaux, la relation à l’administration, quand tu vas chez le médecin, c’est toujours en castillan. Donc forcément si on ne la protège pas, la langue asturienne va disparaître.
Il y a une grosse lutte entre le castillan et toutes les autres langues de l’état espagnol : en Galice, en Catalogne, en Aragon, etc. c’est toujours la langue dominante contre les langues minorisées mais on se bat. Aux Asturies il y a une lutte sociale depuis les années 70 pour défendre cette langue qui fait quand même partie de notre identité. Si la langue asturienne disparaît, on perd une partie de nous.
Propos recueillis par Lydie.M
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