Mathis Le Peintre – Opéra Bastille
Dès l’ouverture, le public découvre Mathias Goerne, très attendu, incarnant Grünewald sur un plateau quasi nu, éclairant à l’aide d’une petite lampe un lit des plus sommaires, des livres entassés au centre, et une toile posée sur un chevalet.
Cette image sera reprise à la fin de l’opéra pour signifier qu’une fois l’oeuvre accomplie, l’artiste n’ayant plus rien à donner, peut mourir sereinement, et renoncer à tout ce qui l’a fait vivre. Avec beaucoup d’intensité et d’émotion, symboliquement, Matthias Goerne jettera le drapeau rouge du socialisme, les lauriers de sa gloire, les livres, et le ruban rouge caressé, étiré qui a cheminé dans tout l’opéra de main en main rapprochant le peintre des deux figures féminines : la Femme incarnée par Ursula-Mélanie Diener et la jeune fille-Martina Welschenbach.
Le compositeur Hindemith interroge le rôle de l’artiste dans la société. C’est pourquoi Olivier Py inscrit l’opéra dans deux époques mêlant La Renaissance ainsi que ses guerres de religions, et l’époque contemporaine de Paul Hindemith avec la montée du fascisme. Se côtoient ainsi deux mondes tout autant violents qu’intolérants.
Les décors et costumes somptueux de Pierre-André Weitz contribuent à la magnificence du spectacle. Dans le second tableau, face au public, abrités derrière un décor flamboyant, représentant les ogives d’une façade de la Renaissance, s’affrontent, dans un chant crescendo écrasant, les protestants et les catholiques, distincts par leurs costumes d’une grande richesse, noirs ou blancs.
On retrouve parallèlement ce même choeur en sombres imperméables, surveillés par des miliciens arpentant la scène, au brassard arborant la croix gammée, armés d’un berger allemand. La scène de l’autodafé reprend le leitmotiv du livre, présent dans tout l’opéra. Comme dans une arche, trois voûtes de livres empilés seront malgré tout découvertes par les nazis. Les lumières éblouissent à plusieurs reprises cruellement la salle.
Extrême violence
Pour noter sans doute que l’oeuvre importe davantage que le maître, dans le premier tableau, il laisse volontairement Matthias Goerne dans l’ombre tandis que le chemin de croix qu’il peint étincelle de lumière.
Certains seront déçus de ne pas voir représenter le chef d’oeuvre du peintre sur scène, mais Olivier Py préfère suggérer la présence du retable d’Issenheim par la structure même du plateau de l’Opéra Bastille et par allusions : un énorme globe doré descend pour illuminer les personnages, écho sans doute de la présence divine, des musiciens comme on en voit dans le retable, l’ange espiègle qui suit partout le peintre.
Mathias Goerne excellent acteur, incarne un homme sensible et physique : il se bat contre les paysans comme un diable pour protéger la Comtesse. Les magnifiques décors sombres et le jeu de scène créent une extrême violence. On ne peut oublier l’image lancinante du corps pendu du comte Helfenstein qui tournoie, de cette Comtesse violée aux vêtements déchirés, de ce paysan qui par dérision a pris un tutu blanc éclatant, riant et se moquant, les fenêtres brisées de la façade du château de Königshofen.
Le sixième tableau fait revivre au peintre en songe la tentation de Saint Antoine, tenté par la volupté, tandis qu’il s’échappe avec la jeune fille dans la forêt. Le songe permet la dimension symboliste. Un voile peint de toute beauté tombe sur la scène et laisse apparaître les corps dénudés de trois jeunes filles charmant le peintre par leur danse lascive. Des personnages inquiétants portant des masques d’animaux surgiront de toutes parts ajoutant un imaginaire bestiaire. C’est alors qu’enfin, le peintre aura la révélation. Il trouvera sa voie uniquement dans la réalisation de ses toiles.
L’émerveillement naît de tous ces décors qui surgissent du sol, s’élevant et prenant tout l’espace. En effet, un panneau mural jaillit, illuminant la scène de ses mille et une bougies.
Enfin, l’interprétation de la jeune fille de Martina Welschenbach a été très applaudie ainsi que la remarquable Mélanie Diener, extrêmement touchante en Ursula, tour à tour femme aimée et aimante, abandonnée et sacrifiée au profit de fins politiques, mendiante, séductrice et martyre. Elle a une puissance vocale extraordinaire, nourries des rôles de Strauss.
Marie Torrès
Mathis le peintre
OPÉRA EN SEPT TABLEAUX (1938)
MUSIQUE DE PAUL HINDEMITH (1895-1963)
Mise en scène : Olivier Py
Scott Mac Allister Albrecht von Brandenburg
Matthias Goerne Mathis
Thorsten Grümbel Lorenz von Pommersfelden
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke Wolfgang Capito
Gregory Reinhart Riedinger
Michael Weinius Hans Schwalb
Antoine Garcin Truchsess von Waldburg
Eric Huchet Sylvester von Schaumberg
Melanie Diener Ursula
Martina Welschenbach Regina
Nadine Weissmann Die Gräfin von Helfenstein
Du 16 novembre au 6 décembre 2010 à 19h
Le 28 novembre à 14h 30
Les 23 et 30 novembre, à 20 heures, dans l’amphithéâtre de la Bastille, deux concerts autour de Hindemith : « Hindemith et l’alto, par Antoine Tamestit (alto) et Markus Hadulla (piano) et « Hindemith et le quatuor » par le Quatuor Danel
Retransmis le samedi 11 décembre à 19 heures, sur France Musique
Informations et réservations :
Par téléphone : 08 92 89 90 90 (0,337€ la minute)
Par téléphone depuis l’étranger : +33 1 72 29 35 35 par téléphone depuis l’étranger :
Par Internet : www.operadeparis.fr aux guichets : au Palais Garnier et à l’Opéra Bastille tous les jours de 10h30 à 18h30 sauf dimanche et jours fériés
Tarifs : 140€, 115€, 90€, 75€, 55€, 35€, 20€ et 15€ 5€
Opéra Bastille
Place de la Bastille
M° Bastille
www.operadeparis.fr
[Visuel : © Charles Duprat / Opéra national de Paris]
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