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Philippe Jordan – directeur musical de l’Opéra National de Paris

27 novembre 2009
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jordan

Quelle est selon vous la mission d’un directeur musical?

Philippe Jordan : Chaque maison d’opéra a besoin d’une direction musicale. Sinon, il manque quelque chose. La base, la fondation d’une maison d’opéra, c’est l’orchestre et son chef. L’Opéra de Paris, c’est à la fois une maison de musique et un théâtre, et je dirais que c’est la musique qui donne sa force au théâtre.

Chaque maison d’opéra, quelle que soit sa taille, a besoin d’une forme, et c’est la direction musicale qui la lui donne. Le potentiel d’une maison comme Paris est énorme. Le niveau de l’Orchestre est superlatif. Il a prouvé ces dernières années qu’il pouvait fonctionner sans directeur musical. Mais je crois que l’Orchestre se réjouit d’avoir en face de lui quelqu’un qui lui montre une direction et qui accomplit un travail à long terme. C’est important de savoir où nous allons tous ensemble, de réfléchir sur l’identité de l’orchestre, de consolider les structures. Avec Nicolas Joel, notre mission est également de bien choisir les chefs qui vont venir travailler ici. J’ai une bonne connaissance de ce monde-là, j’ai vu travailler la plupart des chefs d’aujourd’hui et je pense pourvoir être de bon conseil. A ce sujet, je travaille en toute confiance avec Nicolas Joel.

Comment va se dérouler ce travail ?

P.J.: Je suis un musicien. Le premier travail, c’est donc faire de la musique, répéter, jouer, mais aussi organiser les meilleures conditions possibles. Avec l’Orchestre, nous allons accomplir un voyage. L’essentiel, c’est le chemin, c’est le développement, pas un résultat que l’on se fixe a priori. Le reste se développera tout naturellement.


Comment le choeur s’intègre à ce projet ?

P.J.: Il y a une place fondamentale, c’est le contrepoint de l’Orchestre. Evidemment, lui est davantage du côté du théâtre. Je regrette beaucoup de ne pas le diriger cette saison, puisque L’Or du Rhin et La Walkyrie sont des ouvrages sans chœur. Mais nous nous rattraperons rapidement. Je me réjouis que l’Opéra de Paris ait un Chef de Chœur de haut niveau comme Patrick Marie Aubert.

Votre première apparition en tant que directeur musical est un concert symphonique. Est-ce un signe ?

P.J.: Il est possible de le voir comme ça… Surtout, un orchestre d’opéra se doit de jouer le répertoire symphonique. Il doit de temps en temps sortir de la fosse, s’exposer sur scène. C’est très important pour sa conscience de lui-même. Nous n’avons plus les costumes, des décors… Il n’y a plus que la musique et c’est l’orchestre qui est le messager. Le focus est très différent. Il est très important de jouer les grandes symphonies. J’ai beaucoup réfléchi sur le programme de ce concert qui est très important pour moi. Hélas, le chœur n’était pas disponible. J’ai déjà travaillé Strauss avec cet orchestre et je trouvais une bonne idée de commencer le travail dans un domaine où nous nous étions déjà rencontrés. La Symphonie alpestre est une très belle préparation à L’Or du Rhin. Beaucoup de choses y évoquent Wagner : les cors avant le lever du soleil, l’orgue, les harpes, la texture même de l’instrumentation, l’évocation magique de la nature… En prélude à un tel monument – plus de 120 musiciens ! –, j’ai cherché un contrepoint : le Concerto pour violon de Ligeti est comme de la musique de chambre, avec un dessin très acéré. Et je suis heureux de pouvoir diriger d’emblée une musique d’aujourd’hui puisque ce concerto est l’une des dernières œuvres de Ligeti. D’ailleurs le début de la Symphonie alpestre me rappelle Atmosphères de Ligeti. Dans la suite de la saison, nous aborderons un répertoire très vaste, de Schumann et Chausson à Webern et Britten.

Comment définiriez-vous l’identité de l’orchestre de l’Opéra de Paris ?

P.J.: C’est incontestablement un orchestre français. J’ai dirigé déjà deux opéras de Richard Strauss, Le Chevalier à la rose et Ariane à Naxos. Les vents sont excellents, ce qui est précieux pour Strauss et qu’on ne retrouve pas toujours en Allemagne. J’adore la clarté du son qui sera très importante pour le répertoire allemand que nous allons aborder dans les saisons qui viennent. Mais, si j’ose dire, la première identité de cet orchestre est d’être un orchestre d’opéra, donc très flexible. Les orchestres d’opéra ont souvent des réflexes plus rapides. C’est une grande chance pour le travail considérable qui nous attend. Mais ce que j’aime le plus, c’est sa passion pour la musique, son intérêt pour ce qui se passe sur la scène. C’est très rare également.

Qu’avez-vous appris des chanteurs ?

P.J.: Tout d’abord, la respiration. On peut avoir en tête toutes les interprétations, les conceptions possibles, mais ça ne veut rien dire si la musique ne respire pas. Chaque musicien doit avoir de l’espace pour s’exprimer, même s’il s’intègre dans une vue d’ensemble. Ensuite, la psychologie. Les chanteurs sont très sensibles et il faut apprendre à travailler avec eux, savoir quand les guider et quand les accompagner, quand les diriger et quand les laisser s’exprimer librement. C’est le théâtre qui m’a formé, le travail avec la scène, la technique (qui me fascine), les chanteurs, les danseurs. C’est ma passion depuis le début. J’ai commencé très tôt, à 17 ans, au Festival d’Aix-en-Provence puis au Théâtre du Châtelet, déjà avec le Ring. En tant que pianiste, j’adorais aussi la musique de chambre, Brahms, Schumann, Ravel. La musique symphonique est venue plus tard. La seule chose qui me gêne au théâtre, ces dernières années, ce sont les mises en scène qui n’ont plus rien à voir avec la partition. J’ai dû me battre contre certains metteurs en scène pour le respect de l’intégrité de l’œuvre. Mais, dans le projet construit par Nicolas Joel, je crois que l’Opéra de Paris sera plutôt épargné de tels projets.

C’est un défi important de faire le ring dès la première saison…

P.J.: C’est un peu fou, mais c’est une grande chance ! Il était temps de faire le Ring à l’Opéra, une œuvre fondamentale qui a disparu du répertoire depuis trop longtemps. Le Châtelet l’a donné deux fois en quinze ans, et pas l’Opéra. C’est une œuvre qui m’accompagne depuis toujours. Enfant, je la jouais au piano. Ensuite, j’ai été assistant de Jeffrey Tate sur la production du Châtelet en 1994 puis assistant de Daniel Barenboim à Berlin. Et, enfin, je viens de le diriger moi-même à l’Opéra de Zurich. Et le Ring me fascine toujours plus… J’ai rencontré Günter Krämer dès le début du projet et nous nous sommes très bien compris. Mais je ne voudrais pas me limiter à Wagner et Strauss. Dans les prochaines saisons, j’ai envie de diriger Mozart, le répertoire italien… J’adore Verdi et Puccini, qui est un des plus grands orchestrateurs de théâtre de l’histoire. J’aime aussi Carmen, Samson et Dalila, Pelléas et Mélisande… J’adore Offenbach. Je suis très attiré par la Pénélope de Fauré, le Roi Arthus de Chausson. Berlioz me fascine aussi, mais je préfère attendre un peu.

Votre répertoire fait que vous dirigerez davantage à Bastille qu’à Garnier.

P.J.: J’aime beaucoup l’Opéra Bastille, c’est un théâtre remarquablement construit, avec une excellente acoustique, et un potentiel à peu près sans limite. La fosse est large et pas trop profonde. Et, notamment pour le Ring, il est possible d’y réaliser les souhaits de Wagner. Dans L’Or du Rhin, nous aurons donc six harpes, seize premiers violons, seize seconds violons et pas quatorze, douze violoncelles et pas dix… En même temps, j’ai également envie de travailler à Garnier, où il y a une atmosphère magnifique, et j’y ai évidemment rendez-vous avec Mozart.

Est-ce que le ballet vous attire autant?

P.J.: Ça fait très longtemps que j’attends de travailler pour le ballet. Ma mère était danseuse. Elle m’a dit très tôt que je n’avais aucun talent pour la danse et ne m’a même pas permis d’essayer. De son côté, mon père était un très grand chef de ballet. Il a d’ailleurs commencé en Suisse comme répétiteur de ballet. Il était chaque jour au piano pour l’échauffement et les répétitions. Il avait un œil remarquable pour la danse, il savait de combien de temps a besoin chaque mouvement, les différences entre les danseurs, les jours où ils étaient fatigués… Quand j’ai débuté à Ulm, il n’y avait que dix danseurs, ce qui ne permettait pas de faire les ballets classiques. Et plus tard, à Berlin, j’étais assistant de Barenboim et donc essentiellement occupé avec l’opéra. J’aimerais tant diriger Casse-Noisette ou Le Lac des cygnes, qui sont des partitions fabuleuses ! Mais c’est un véritable métier qu’il faut apprendre et je dois me laisser du temps. Je dirigerai d’abord des ballets du xxe siècle comme ceux de Stravinsky, Bartòk, Ravel ou Debussy. Mais oui, je rêve de pouvoir travailler avec cette formidable compagnie qu’est le Ballet de l’Opéra et nous avons déjà des projets avec Brigitte Lefèvre.

Propos recueillis par Christophe Ghristi,
Pour le magazine En Scène ! Le journal de l’Opéra National de Paris

A retrouver sur le site de l’Opéra National de Paris

[Visuel : © Johannes Ifkovits]

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