L’histoire du hip-hop à travers deux albums mythiques
Le sample a révolutionné la musique de ces 30-40 dernières années. Indissociable de la culture hip-hop, le “sampling” (de l’anglais : échantillonnage, action de sampler) a marqué des générations entières par son originalité, repoussant constamment les limites de la création musicale. Retour ici sur deux albums fondateurs dans l’art du sampling : 3 Feet High and Rising (De La Soul) et Paul’s Boutique (Beastie Boys).
Qu’est-ce que le sampling ?
Pour le définir simplement, le sampling consiste à prendre des choses que l’on aime et à se les réapproprier de quelque manière que ce soit. On sample des disques, des enregistrements sonores, qui peuvent venir de partout.
Dans le hip-hop, les productions “beat” sont fondées le plus souvent sur un break de batterie extrait de disques funk, soul ou jazz que l’on boucle. Cela constitue la base rythmique du morceau. On peut ensuite y rajouter tout type de sons, de percussions, de voix, extraits de n’importe où. Ce qui est intéressant, c’est la construction de ces morceaux à partir d’une boucle, d’un motif répétitif, d’un riff (fragment mélodique et rythmique accrocheur) ou de paroles.
Comprendre comment l’artiste sample, s’inspire d’un morceau pour en faire un autre, montre la façon dont il comprend cette musique, la ressent pour parvenir à la détourner et en faire quelque chose de moderne et puissant.
L’arrivée des premiers samplers numériques au service d’une révolution musicale
L’apparition des premiers samplers numériques, dans les années 80, ont démocratisé le sampling avec des machines devenues célèbres : Akai S900 (1986), SP-1200 (1987), MPC 60 (1988) et MPC3000 (1994).
Les artistes avaient alors à leur disposition tous les outils nécessaires pour sampler et développer de nouvelles techniques de sampling, de plus en plus travaillées et recherchées. À partir de ce moment-là, n’importe qui pouvait sampler. C’est le début de “l’ère du sampling”.
Cette révolution technique permet à des jeunes qui n’en avaient pas les moyens jusque-là, de s’introduire dans l’histoire de leurs artistes préférés et de faire partie de l’évolution d’une musique qu’ils aiment. Par le sampling, on découvre également la culture musicale de l’artiste, en cherchant d’où proviennent les samples. Cela amène les gens à découvrir plein de nouveaux artistes et à apprécier les morceaux originaux.
1989 : Une grande année pour le hip-hop
Le sample a ainsi donné vie à des chefs-d’œuvre des temps modernes. L’album de Public Enemy, It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back, sorti l’année précédente et devenu référence en matière de sampling, en est la preuve.
1989 est une grande année pour le hip-hop. De La Soul et les Beastie Boys s’inscrivent dans cette lignée, avec des albums devenus mythiques.
De La Soul avec 3 Feet High and Rising
La sortie de cet album a provoqué une véritable déflagration. Il a prouvé que le rap pouvait se diversifier et être plus positif, en sortant du registre plutôt revendicatif présent jusqu’alors avec les albums de Public Enemy.
Avec ce premier album, De La Soul propose des textes absurdes et décalés, parlant de paix, d’amour et d’histoires de fleurs. Le groupe est habillé avec des tenues colorées, sur des fonds de clips fluos qui changent de la grisaille new-yorkaise.
Ce qui caractérise véritablement 3 Feet High and Rising, c’est la manière dont les samples y sont utilisés. L’album est semblable à un puzzle géant, avec des samples pris de disques de pop psyché, jazz, funk et rock. On peut aussi y entendre comme des jeux de fausses émissions de radio, avec des modules et interventions. Il serait impensable de faire ce disque aujourd’hui, sans s’attirer tous les avocats du monde. C’est d’ailleurs cet album qui a lancé la “guerre des samples”. De La Soul et la maison de disque avaient en effet négligé – ou oublié selon les versions – de payer la somme due aux artistes pour les sampler. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle 3 Feet High and Rising reste introuvable sur les plateformes de streaming aujourd’hui.
Le sample principal de Eye Know vient de Make This Young Lady Mine, un titre du groupe RnB américain The Mad Lads, sorti en 1969 sur une subdivision du mythique label Stax Records, Volt Records. Les voix du refrain viennent quant à elles de Peg, du groupe Steely Dan.
Beastie Boys avec Paul’s Boutique
Les Beastie Boys ont toujours voulu briser les frontières avec leur musique. Déjà avant Paul’s Boutique, ils opéraient un vrai mélange entre le hip-hop et le punk des Black Flag ou des Sex Pistols. Avec l’utilisation qu’ils font des samples, ils contribuent à inspirer toute la scène hip-hop à venir.
Pourtant, tout le monde a détesté le disque Paul’s Boutique à sa sortie, avant qu’il ne devienne l’un des albums majeurs de la carrière du groupe et fondateur sur beaucoup de points.
À la première écoute, ce disque donne l’impression que les Beastie Boys ont pioché tout ce qu’ils trouvaient dans les bacs à disques en promo. En matière de sampling, cet album fait la différence. Avec la superposition de tous les samples, parfois 12 par morceau, les Beastie Boys parviennent à créer une sorte de couche sonore agrémentée de multiples sons et voix, rendant le tout très original pour l’époque.
Ce deuxième album leur a coûté 250 000 dollars pour les droits d’auteur, ce qui est peu comparé à aujourd’hui. Le fait qu’il n’y ait pas encore de règles sur le sampling à l’époque a permis de créer une nouvelle musique, en s’affranchissant de toute règle.
Le sample est une véritable démarche artistique et légitime, qui se distingue du plagiat. Même si le sampling est toujours pratiqué aujourd’hui, il est bien plus encadré qu’il ne l’était auparavant. Beaucoup de superbes disques ont été faits à une époque où l’argent comptait peu. Désormais, les artistes ont peur de se faire prendre et ne risquent pas de sampler à moins de s’entendre sur l’accord des droits. Cependant, ces droits sont tellement chers qu’il est parfois plus facile de penser qu’il s’agit d’une histoire d’argent plus que de musique, ce qui constitue malheureusement un obstacle à la créativité. Les débats sont nombreux à ce sujet et perdurent encore aujourd’hui. Mais l’art n’est-il pas avant tout une forme de réappropriation, dont le sample ferait partie ?
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