Les Indes Galantes : hip-hop et break chez Rameau
A l’Opéra Bastille, le jeune vidéaste Clément Cogitore met en scène l’opéra de Rameau avec 29 danseurs de toutes origines et 55 musiciens de l’Orchestre Capella Mediterranea. Krump, Hip-Hop, Electro ou Waacking participent d’une chorégraphie explosive, tandis que le chef Leonardo Garcia Alarćon dirige magistralement son plateau de jeunes chanteurs, dont Sabine Devieilhe et le Chœur de Chambre de Namur.
Des Indes sauvages
Comment monter aujourd’hui une oeuvre du 18°siècle, où les Indes, le Pérou et la Turquie fraîchement découvertes paraissaient teintés de merveilleux et de sauvage, terres énigmatiques et propres à tous les fantasmes ? L’opéra de Rameau déploie ainsi en cinq tableaux une fantastique bande dessinée, avec un Turc généreux, des Incas du Pérou, une Fête persane et des Sauvages infernaux que la musique du compositeur génial colore et rythme avec une variété, une inventivité somptueuses. Clément Cogitore (Prix Marcel Duchamp) est un artiste qui croise les domaines de la photo, du film et des arts plastiques par ses recherches sur le monde et les hommes qui le traversent, de manière culturelle et sacrée. Selon lui, les personnages de cet opéra dansent au dessus d’un volcan en éruption. D’où le désir de travailler avec la chorégraphe Bintou Dembélé, pionnière du Hip Hop en France, qui a invité des danseurs d’origines diverses et de cultures artistiques mélangées, Krump, Electro, Popping ou Waacking à se mêler aux chanteurs pour y tisser la toile vivante d’un monde en révolte.
Une scénographie trouée de drames
C’est donc un immense plateau noir comme l’enfer, percé d’un gros trou en son centre et couvert de cubes, qui fera office de podium pour la « Fashion Week » où vont défiler, comme des mannequins hiératiques, les danseurs. Ils doivent partir à la guerre, alors qu’Hébé, à laquelle Sabine Devieilhe prête sa voix d’or, sa diction parfaite et la finesse de ses nuances, invoque l’Amour, incarné idéalement par la jeune Jodie Devos. Florian Sempey, présence vocale et théâtrale remarquables, est le fougueux Bellone, aiguillon martial qui hystérise les danseurs. Au second tableau, chez le généreux Turc Oman (Edwin Crossley-Mercer), languit la jeune Emilie incarnée par une magnifique Julie Fuchs. Il lui faudra braver la tempête, les CRS cuirassés et casqués derrière leur bouclier en plastique, pour retrouver, sous une barque retournée par un immense bras métallique, son fiancé Valère (Mathias Vidal) émergeant d’un groupe de migrants échoués, enveloppés dans leur couverture de survie dorée.
Manichéisme simplet
On regrette, malgré le talent et l’engagement des chanteurs et des chœurs, la vision manichéiste du traitement qui fait s’opposer tout le long du spectacle des soldats CRS aux migrants-esclaves-exclus, dans un monde binaire trempé et secoué par les tempêtes et naufrages, alors que l’opéra nous projette dans l’illusion et le fantasque merveilleux. De belles idées, pourtant, d’enfermer ces femmes esclaves dans des cabines aux vitrines roses sexy comme à Amsterdam, pendant que Sabine Devieilhe chante son inoubliable « Enchaîne moi » face à un glorieux Alexandre Duhamel (Huascar). Mais c’est lors du dernier tableau que la sauvagerie se déchaîne avec des danseurs éblouissants de rage, d’ardeur et de vitalité qui multiplient les battles et les solos hallucinants de virtuosité. Les projecteurs lardent leurs rayons comme des lasers, mais c’est dans la fosse que la chorégraphie se révèle aussi éblouissante : le chef Leonardo Garcia Alarćon parvient à équilibrer tous les musiciens en sculptant le son baroque, sans lâcher des yeux les chanteurs et leur ligne vocale. Quel relief ! Quelle maîtrise ! Un spectacle délibérément total, surprenant et généreux.
Hélène Kuttner
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