Le Crépuscule des dieux – Opéra Bastille
Il semble loin le temps où nous avions découvert en 2009 à l’Opéra Bastille L’Or du Rhin, prologue de cet Anneau de Nibelung dans la mise en scène de l’allemand Günter Krämer. Le résultat au premier abord avait été mal reçu et facilement critiquable. Pourtant, force est de constater qu’avec un certain recul, l’image finale de cet escalier monumental symbolisant la montée des dieux vers le Walhalla a su rester dans notre mémoire tout comme le finale quasi-similaire de Siegfried. Le paradoxe de cette production était en fait ailleurs et les trois journées de ce festival scénique sont venues le confirmer. La volonté première de l’équipe artistique choisie par Nicolas Joel, directeur de l’Opéra de Paris, fut de se détacher des codes wagnériens. En somme, prendre suffisamment de recul sur l’œuvre en l’inscrivant dans une contemporanéité symbolisée par des figurines de cinéma, des contextes politiques ou encore des jeux vidéo. Le Crépuscule des dieux est venu le confirmer une dernière fois lors de son finale où, sur une installation vidéo, une main humaine (celle de Brünnhilde ?) tire à bout portant sur les Dieux se décomposant les uns après les autres avant de finir en apothéose avec la destruction de l’or du Rhin.
Ce pastiche de jeux vidéo tels Call of Duty, ne va pas autrement ailleurs que dans la continuité du premier acte de Siegfried qui voyait le jeune héros grandir dans un environnement peu respectable entre plantation de cannabis et un Mime arborant les traits d’une Madame Doubtfire. L’être humain chez Günter Krämer en est réduit à une innocence juvénile, irresponsable de ses propres actes et agissant par pur instinct plutôt que par préméditation et orgueil, à l’instar de ces nains, ces géants et ces dieux assoiffés de pouvoir et d’argent. Au final, ces personnages ne seront plus que des dinosaures devant l’aube d’un nouveau monde qui s’annonce. Pour Günter Krämer, ce serait la fin d’une autre aventure symbolisée par un large sourire au son des huées qui ont accompagnés pratiquement chacune de ses productions.
Auto-critique germanique
En choisissant de traiter par l’ironie ce « Ring », le metteur en scène Günter Krämer a certainement profité de Paris pour poser un regard distant sur l’Allemagne, son pays natal. Plusieurs détails le font penser : des filles du Rhin déguisées en prostituées sortant tout droit du quartier rouge de Hambourg, les lettres GERMANIA trônant en haut du Walhalla, le palais de Gunther aux allures de brauereien bavaroises avec des hommes déguisées en serveuses ou encore le domicile de Mime qui pourrait faire penser au nouveau quartier écologique de Vauban à Fribourg. On peut comprendre que le public parisien peu habitué à ce minimalisme germanique, ait eu forcément du mal à adhérer à cette vision si décalée. Les limites de Krämer se situent plutôt dans l’exagération et se retrouvent dans un esthétisme alourdi à l’image des chorégraphies incompréhensibles de Otto Pichler avec la présence d’hommes nus lors de la chevauchée des Walkyries et lors de l’arrivée de Siegfried dans la caverne de Fafner.
De même, les installations vidéos de Stefan Bischoff paraissent simplistes et gâchent même certains passages musicaux avec en premier lieu la mort de Siegfried qui aurait pu être davantage exploitée plutôt qu’un simple hologramme du héros gravitant les marches pour devenir à son tour un Dieu immortel. A l’inverse, les dégradés de couleurs orangées, jaunâtres et rouge de Diego Leetz viennent sublimement accompagner la musique de Wagner avec force et précision comme lors du passage où Hagen convoque ses hommes pour célébrer ses noces dans Le Crépuscule des dieux ou encore lors du finale de La Walkyrie.
Pour Philippe Jordan
Il y en a au moins un qui aura mis tout le monde d’accord lors de la présentation de ce Ring et qui aura amplement mérité ses applaudissements. Avec le jeune Philippe Jordan, l’Opéra de Paris s’est doté d’un chef d’orchestre unique en son genre et qui aura su faire vibrer les cœurs pendant plus de 14 heures de musique étalées sur deux ans. Autour de lui, une trentaine de solistes ont évolué sur scène avec autant d’essence et de conviction. Parmi eux, Hans-Peter König (Hagen), Sophie Koch (Waltraute, Fricka), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) et Katarina Dalayma (Brünnhilde) peuvent remporter les louanges les plus mérités. Quant au premier Siegfried du ténor Torsten Kerl, il lui manque encore une certaine force vocale bien qu’il sut impressionner lors du dernier acte de Siegfried et du Crépuscule des dieux.
Pour le reste, félicitons l’Opéra de Paris pour la qualité de ses quatre programmes qui ont su lier poésie, extraits de romans et de correspondances, gravures et peintures de circonstances permettant de livrer quelques messages subliminaux sur la volonté de Günter Krämer. A ce titre, seule une note du metteur en scène manquait à l’appel de ce Ring qui restera (ou pas) dans l’esprit des Parisiens.
Edouard Brane
Le Crépuscule des dieux
Musique de Richard Wagner
Livret du compositeur en langue allemande
Troisième journée en trois actes du festival scénique l’Anneau du Nibelung (1876)
Philippe Jordan, Direction musicale
Günter Krämer, Mise en scène
Jürgen Bäckmann, Décors
Falk Bauer, Costumes
Diego Leetz, Lumières
Otto Pichler, Mouvements chorégraphiques
Stefan Bischoff, Création des images vidéo
Patrick Marie Aubert, Chef du Choeur
Torsten Kerl, Siegfried
Iain Paterson, Gunther
Peter Sidhom, Alberich
Hans-Peter König, Hagen
Katarina Dalayman, Brünnhilde
Christiane Libor, Gutrune, Troisième Norne
Sophie Koch, Waltraute
Nicole Piccolomini, Première Norne, Flosshilde
Caroline Stein, Woglinde
Daniela Sindram, Wellgunde
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris
Du 3 au 30 juin 2011
DIFFUSION EN DIRECT SUR FRANCE MUSIQUE ET EN UER LE 18 JUIN 2011 A 18H
Réservations : 0 892 89 90 90 (0,34€ la minute depuis un poste fixe en France) ou sur le site de l’opéra
Tarifs : 180€ 155€ 135€ 115€ 95€ 75€ 40€ 20€ 15€ 5€
Opéra Bastille
Place de la Bastille
M° Bastille
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