La Vague : “La singularité comme une priorité”
Singulier et mystique, le duo La Vague l’est sûrement. Portés par une pop surprenante, Thérèse et John répondent à nos questions, suite à leur second EP Lemme Be paru en novembre 2019.
Vous définissez votre musique comme de la pop « un peu crade ». Pourquoi cette volonté de la salir, de la façonner ?
En réalité, plutôt que de la salir, on a plutôt rendu pop une musique crade ! Au début, nos maquettes étaient simples, indées et radicales. L’instinct créatif nous poussait à expérimenter des choses en dehors du format pop actuel. Ensuite, on a cherché à garder l’essentiel et à le rendre accessible parce qu’on adore les tubes pop. On voulait produire une musique écoutable par le plus grand nombre, tout en gardant l’esthétique et la singularité qui définissent La Vague.
Ceci étant dit, ça ne nous intéresse pas de faire une pop lisse. On veut une musique qui remue le cerveau tout en étant accessible. Un peu comme un film de Scorsese…
En utilisant cette pop « badass », n’aviez-vous pas peur que votre propos soit noyé par les productions ?
La place de la musique est importante dans La Vague ; c’est notre côté anglo-saxon. Mais la voix et les textes ne doivent pas passer au second plan ; c’est notre côté français. Autrement dit, notre musique est une hybridation entre rock (musique devant) et rap / chanson française (voix devant).
On a beaucoup travaillé sur cet équilibre. Sur Let them Fall, on a fait des couplets très épurés, pour laisser la voix prendre toute sa place, et la musique répond sur les refrains, comme dans une conversation. Pour Fierté, on a épuré au maximum la musique : il n’y a pas de ligne de synthés très forte ; on a juste l’impression d’être un poisson remontant le gulf stream. Qu’est-ce qu’on s’est pris la tête sur cette chanson ! On l’a refaite des centaines de fois.
Votre dernier EP Lemme Be est un bijou pop, mais il révèle une confrontation des genres, une hybridation. C’est le futur de la musique pour vous ?
Oui, tant qu’il n’y a pas une révolution musicale et culturelle qui emporte tout sur son passage ! Actuellement, on digère notre propre culture, arrivée à maturation. Il n’y a pas réellement de séisme, comme ont pu l’être le blues, le rock, l’électro et le rap. Alors, on joue avec ces cultures, on les tord, on les met dans des éprouvettes avec d’autres éléments pour essayer de synthétiser de nouvelles molécules.
Quelles sont vos inspirations ?
Pour Thérèse : Radiohead, Portishead, Rihanna, Lana Del Rey, Kanye West, Nicolas Jaar (jusque-là, peut-être que tu t’en doutes !). Mais aussi Marilyn Manson, System of a Down et Barbara. Pour John : Mike Oldfield, Deftones et Serge Gainsbourg.
Vous utilisez un esthétisme particulier, notamment sur la pochette de votre EP Lemme Be, où vous prenez la pose à la manière des icônes du communisme d’antan. Pourquoi ?
On a bossé avec Charlie Burger sur la direction artistique de cette cover (et sur le clip du titre). Graphiquement, c’était un moyen de mettre en avant le duo, cette esthétique à la fois kitsch et futuriste, qui nous tient à cœur, et aussi de faire un clin d’œil à l’Asie.
Comme tu le soulignes, cette pochette est inspirée des réclames de propagande communiste qu’on trouvait très à propos, parce qu’elles sont construites avec la promesse d’un monde meilleur, tourné vers l’avenir et la prospérité. Un peu comme notre EP, qui est un message de liberté.
La pochette est bien-sûr pleine d’ironie. La juxtaposition de cette photo et du titre est simplement une traduction visuelle de nos paradoxes et de ceux de l’humanité. En fait, on est tous les deux constamment en recherche de liberté. Quand tu as l’impression d’avoir brisé un carcan, un autre, encore plus grand, t’emprisonne…
Souhaitez-vous transférer cet esthétisme au live ?
Oui, complètement. Au niveau du stylisme en live, on est proche de ce que tu vois sur la pochette ou dans le clip. Sur scène, on mélange un set organique (tambour traditionnel chinois et guitare électrique) et une station avec une batterie électronique, des pads, des synthés. D’abord, tu as des passages avec des prières et de l’encens, puis deux pistes plus tard, du reggaeton.
Que ce soit dans la vie réelle ou virtuelle, on a envie d’emmener les gens en voyage dans le temps et dans l’espace. Les balloter entre l’Orient et l’Occident, le passé et le futur, la rage et la fragilité.
Vous êtes très singuliers dans le paysage musical français, à la manière de Las Aves. C’est une force, selon vous ?
Merci, c’est un beau compliment. C’est un groupe qu’on aime tous les deux beaucoup. Même si notre musique ne ressemble pas à la leur, on se retrouve dans ce propos de mélanger les genres, d’avoir une frontwoman à laquelle tu n’as pas trop envie de te frotter !
Vis-à-vis de l’industrie, ce n’est pas vraiment une force, parce qu’en général les professionnels ne savent pas où nous caser. Mais la vie nous a fait faire des rencontres formidables et on a un entourage qui soutient à 400 % notre démarche. Surtout, le public aime notre musique parce qu’elle ne ressemble à aucune autre. Si l’on considère la singularité comme une priorité, alors oui, on peut dire que c’est une force.
Propos recueillis par Hugo Paluch.
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