La Traviata reine des réseaux sociaux à Garnier
L’opéra le plus populaire de Verdi a trouvé en la soprano sud-africaine Pretty Yende sa princesse parisienne, acclamée comme une star lors de la première au Palais Garnier. Sa beauté et sa voix magnifique ont d’ores et déjà conquis le public dans une production très branchée, dominée par la frénésie des réseaux sociaux et l’obsession financière d’un monde hyper mobile dans une mise en scène de Simon Stone.
Violettamania
C’est une héroïne hyper médiatisée, star d’Instagram et de WhatsApp, qui bombarde ses copines et sa mère de SMS, court les “after” des soirées dans les boîtes branchées de Paris, pose en modèle géant pour la marque de parfum “Vilain” sur les murs de la capitale et est adepte des “like” et autres émoticônes des réseaux sociaux, qui apparaît comme notre Violetta Valéry contemporaine. Icône mixée de Kim Kardashian et Naomi Campbell, l’héroïne de Verdi, inspirée d’Alexandre Dumas, courtisane au grand cœur, mais tuberculeuse et misérable, devient ici une bombe sexuelle, qui apprend par sa mutuelle de santé qu’elle a une récidive de cancer.
Tournette publicitaire
Le metteur en scène nous étourdit donc avec un plateau tournant qui est plutôt bruyant et qui ne cesse de faire défiler des murs blancs clinique ou noirs disco, sur lesquels se jouent les scènes de fiesta ou de carnaval, sont projetés les messages de Facebook ou les factures bancaires en débit de Violetta qui court à sa perte en se réfugiant, esseulée, dans un kebab nommé “Paristanbul”. Alfredo lui déclare son amour devant une rangée de poubelles vertes, et on peine presque, au premier acte, à ressentir de l’émotion face à une débauche d’images et de messages qui nous renvoient à l’artifice du monde virtuel.
Une vache et une chapelle
Changement d’atmosphère dans le deuxième acte, avec une intensité émotionnelle beaucoup plus intime et plus dramatique. Alfredo chante en poussant une brouette à la campagne, avant d’écraser du raisin en gentleman farmer dans une cuve, tandis que Violetta traie une vraie vache, en bottes et pantalon rustique. Elle va se faire surprendre ainsi par le père d’Alfredo, furieux de la liaison de ce dernier avec une femme de mauvaise vie, qui apparaît ici dans sa modeste simplicité. C’est dans cette simplicité de décor et de mise en scène que les chanteurs, tous très bons, donnent le meilleur de leur talent, sous la baguette de Michele Mariotti qui fait sonner les contrastes, les nuances de cette partition sublime avec beaucoup de relief et de mordant. Le ténor français Benjamin Bernheim est excellent dans le rôle d’Alfredo, d’un naturel et d’une impulsivité instinctifs, comprenant d’emblée les enjeux de la partition et déployant avec générosité et puissance son timbre lumineux, aux aigus mordorés et toniques. Une belle prestance dramatique, simple et charmeuse.
Pretty Yende, princesse opératique
Ludovic Tézier fait des merveilles dans le rôle du père, tessiture riche et légatos plus que parfaits, diction royale et chaleur veloutée du timbre, il fut applaudi longuement et très justement, une fois de plus pourrait-on dire, compte tenu de son talent et de sa formidable capacité à entrer dans le personnage en adoptant sa langue. Et puis il y a Pretty Yende, dont la voix déploie au fil de la représentation une richesse mélodique impressionnante, de plus en plus brûlante et puissante, capable de contrastes saisissants. Dans l’acte III notamment, qui envoie l’héroïne dans un hôpital de jour en chimiothérapie, troquant sa robe à paillettes pour une blouse bleue, la chanteuse est déchirante et d’une beauté somptueuse. Pour elle et pour ses camarades, il faut aller découvrir cette Traviata.
Hélène Kuttner
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