La Nuit des Reptiliens
19H50. Comme un air de cérémonie, de funérailles froides et empruntées… Le staff a choisi de laisser les sièges au balcon et au fond de la salle, le pire étant qu’ils se remplissent bien plus vite que la fosse. Comme une angoisse. Moi qui m’accrochais déjà à la barrière tout près de la scène de peur qu’on me déloge (vieux tropisme de groupie vindicative d’un mètre soixante), ça ne semble pas nécessaire ce soir. Pas drôle. Mon pote fait déjà la gueule du genre « On dirait qu’on va bien se marrer !
On peut même pas boire dans la salle et tu peux être sûre que la canette au bar coûte un bras ». Certes. Dans ces conditions toutes pourries donc — pas alcoolisée du tout, pas de rambarde à bagarrer et une lumière de salle polyvalente — les Holograms entament leur set.
Ce qui est bien avec la musique, c’est que si les types qui la jouent sont vraiment bons, qu’ils croient en ce qu’ils ont composé, alors tu te fous de l’ambiance qui régnait avant qu’ils ne montent sur scène. Et ces mecs là sont les fils cachés (et assagis) de Richard Hell. Un son lourd et froid, qui rend l’atmosphère gris-bleu, raidit le corps et fait vriller la tête. Le guitariste/chanteur toise le public d’un air de défi, marqué aux joues de traces noires, discrètes peintures de guerre. Leur mission à tous les quatre consiste à échauffer un public en dépit de tous les éléments perturbateurs évoqués plus haut. À grands coups de Lay us down, Chasin my Mind ou Laughter Breaks the Silence, les Scandinaves ont bien amorcé le travail. Nos cous sont déliés, la soif exacerbée et les oreilles mises en bouche (beurk).
Tout le monde se propulse dehors pendant la courte pause. Le problème, c’est qu’on a besoin de se salir un peu avant de revenir dans « La Grande Salle », de fumer trois clopes et boire goulument des bières (achetées au kebab d’en face parce que mon pote avait raison, ça coûte un œil). Il faut être prêt pour Cheveu, ne surtout pas y aller la tête froide. Nécessité de s’électriser avant. Du coup, on rate les trois quarts du concert, mais je peux témoigner d’un final de maîtres. Ils font littéralement trembler le sol, enfin l’air est devenu moite, leur son traverse le corps de la foule comme une électrocution.
Et puis, L’apparition. La Diva des freaks : Caroline de Kap Bambino. On pète tous totalement les plombs dès qu’elle se pointe sur scène — ce qui est absurde parce qu’elle n’a pas encore émis le moindre son — mais très vite, New breath et Batcaves balancés sans suspens, comme un cadeau à une bande d’orphelins déficients. La chanteuse met tout le monde à terre pendant qu’elle saute et se secoue comme une dingue qu’on aurait gardé sous camisole deux décennies. Pogos, cris, coups de boules involontaires au voisin, maquillage détruit et une canette dans les mains de chacun : le punk a repris le dessus. Chassez le naturel.
Nathalie Troquereau
[Visuel : ©Robin Le Gloannec]
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