La musique acousmatique : écouter avec les yeux
Et si la musique n’était plus à envisager par le biais d’une appréciation mais seulement par celui de la perception. Considérer la matière sonore non plus par des critères harmoniques mais exclusivement par celui de l’affect, l’émotion singulière de tout un chacun. Aussi farfelu soit-il, cela a déjà été réalisé et même théorisé sous le nom de « musique acousmatique ».
En ce Jeudi 11 octobre, l’association « Tout Art Faire » (lauréate du prix de l’innovation associative de Bordeaux » en 2012) – dont le crédo est de soutenir la culture pour tous – a décidé de mettre en avant cette frange assez ambitieuse et spécifique de la musique électronique expérimentale. Mais cela n’a visiblement pas freiné l’appétit du public bordelais car la salle est comble et un mélange d’excitation et de concentration imprègne la salle de conférence.
La musique acousmatique – ou musique concrète – est un art sonore apparu il y a une cinquantaine d’années en Europe, grâce aux expérimentations de l’ingénieur acoustique radio Pierre Schaeffer. Après le dérèglement technique d’un 78 tours rayé, le scientifique eut la formidable idée de prélever et d’explorer ce résultat insoupçonné, hors du temps et de toute linéarité. En 1913, Luigi Russolo (figure du mouvement futuriste italien) publiera le manifeste « l’Art des Bruits », socle théorique de la « musique de bruits ».
Le terme « acousmatique » rappelle le nom donné par le philosophe Pythagore et à sa manière de communiquer avec ses disciples. Dans le noir et derrière un rideau, afin d’éviter toute tentation extérieure et favoriser de fait la concentration de ses élèves. La musique acousmatique est un prolongement de cette pratique car elle a pour but de développer le sens de l’écoute, l’imagination et la perception mentale des sons. Nous ramenant aux racines étymologiques du mot « entendre » qui signifie en latin classique « intendere » (tendre vers), les sons issus de la musique acousmatique sont fixés sur un support (le haut-parleur, l’enceinte ou ses propres écouteurs) et il est impossible pour nous de se faire une représentation physique et concrète de l’objet qui produit cette matière sonore. C’est comme si on s’imaginait la source de ces « bruits » dans un tout abstrait sans se préoccuper de la cohérence de ceux-ci. On se retrouve ainsi dans un « cinéma pour l’oreille », où l’on se laisse transporter par nos images mentales et les formes créatives de notre imaginaire.
Les musiciens qui composent cette musique sont de véritables sculpteurs du paysage sonore. Ils prélèvent indifféremment sons électroniques et sons naturels comme le bruit des machines ou du vent, des cris ou n’importe quel « objet sonore ». Les plus grands représentants de ce mouvement – aux côtés de Pierre Schaeffer – sont François Bayle, Michel Chion ou encore Pierre Henry.
ENTRETIEN AVEC LE CONFERENCIER : Nicolas Marty (musicologue et compositeur de musique acousmatique)
La musique acousmatique n’est finalement qu’un genre musical comme un autre, en marge du spectre musical contemporain mais pas moins plaisante que tout autre forme plus conventionnelle. Plus qu’un épiphénomène, elle fut une rupture de la hiérarchie entre les notions de « bruits et de « sons » et un bouleversement de la conception musicale dominante de l’époque. Aucun bagage préalable n’est nécessaire pour se laisser envahir par ce bourdonnement sonore. Un brin de curiosité peut-être, ou un certain goût pour l’inconnu. Il s’agit avant tout de fermer ses oreilles et d’écouter avec ses yeux.
Amy Cimpaye
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