La Flûte enchantée, Mozart – Robert Carsen à l’Opéra Bastille
Jusqu’au 15 avril 2014
Dans une production créée avec la collaboration du Festspielhaus de Baden-Baden, la Flûte enchantée est dirigée magistralement par Philippe Jordan à l’Opéra national de Paris. Une réussite totale : un plateau exceptionnel et une vraie mise en scène.
On ne compte plus les succès de Robert Carsen à l’Opéra de Paris, comme Capriccio et plus récemment Elektra. Le metteur en scène, très attendu par le public parisien, a conquis la salle par son ingéniosité. Sa mise en scène illustre le titre de l’opéra. Cette lecture en apparence évidente repose sur une grande économie de moyens et un décor sobre et signifiant.
Sous le signe de l’enchantement, c’est-à-dire sous le charme ensorcelant d’un espace propre aux contes de fées, la Flûte enchantée se déroule dans une forêt. Ce lieu étrange et mystérieux abrite une société secrète d’initiés francs-maçons. L’enjeu des novices sera de pénétrer, notamment grâce à “la flûte” omniprésente symboliquement sur scène, parfois dupliquée à l’envie, cet espace privilégié, sphère inquiétante et fascinante à la fois qui ne manque pas de surprendre et ravir le spectateur. La gageure est de renouveler la lecture de cet opéra populaire tout en restant fidèle au livret, et de tenir compte de la personnalité des chanteurs. C’est entièrement réussi.
Robert Carsen utilise à merveille l’espace gigantesque du plateau de la Bastille. D’abord, il le coupe par la projection de cette photographie à l’avant-scène comme un rideau. Les chanteurs donc devant, très proches des spectateurs qu’ils prennent à parti (Papageno), circulent aussi autour de la fosse d’orchestre ornée d’un gazon verdoyant. Ils traversent la salle de part en part à plusieurs reprises en pleine lumière. L’écoulement du temps se lit dans la métamorphose de cette image : printemps, été, automne, hiver.
A cet espace ouvert s’oppose un espace intérieur qui se dérobe. Il surgit comme par magie et fait apparaître un lieu souterrain que l’on comprend grâce aux fosses du plateau. Le tableau est alors partagé en deux, dessus et dessous. L’un éclairé par la lumière qui pénètre du haut par un trou, et l’autre qui mène à cette lumière par une échelle que l’on découvre au deuxième acte. R. Carsen reprend au sol la tourbe identique au plateau d’Elektra qu’il aime tant : L’air, la terre, le feu et l’eau. Tous les éléments sont réunis et créent un effet extraordinaire.
Cette scénographie ingénieuse, servie par un éclairage subtil, permet des trouvailles cocasses dans la mise en scène dynamique. Les chanteurs apparaissent et disparaissent comme par magie derrière la projection de la forêt. Des cavités surgissent des hommes, des femmes, un serpent très réaliste. On y tombe aussi… La verticalité avec les échelles, la profondeur, les portes suggèrent un espace infini, labyrinthique, effroyable. On rit beaucoup des situations comiques que jouent à merveille les chanteurs. Sur ce plateau enchanté, ils rayonnent.
Les costumes de Pétra Reinhardt plantent clairement le caractère contemporain opposant symboliquement blancheur et noirceur. Complet blanc pour Tamino (Pavol Breslik) et robe blanche pour Pamina (Julia Kleiter) aux allures d’Alice aux pays des merveilles. Les “novices” sont opposés aux “initiés”, vêtus de tenues de soirées noires, leur visage étant voilé. Seul le couple Papageno, en randonneur, sac à dos, glacière à la main, et Papagena, en morte squelettique vêtue d’une robe dix-huitième magnifiquement aérienne et surannée, diffère.
On apprécie le dynamisme du jeu des chanteurs. Julia Kleiter en Pamina, voix ronde et puissante, très pudique, est très applaudie face à Pavol Breslik, ténor solaire, et généreux. Les forces du mal incarnées par les trois dames forment un trio comique de séductrices espiègles et gauches. Sabine Devieille est sidérante en Reine de la nuit. Avec une aisance incroyable, elle multiplie les virtuosités dans une douceur et une rondeur sans pareille. Ovationnée par le public, la soprano triomphe. Franz-Josef Selig, magnifique basse est un puissant Sarastro. Robert Carsen compose avec la jeunesse de Sabine Devielle qui ressemble peu à l’image démoniaque que l’on se fait du personnage maternel de l’opéra. Il imagine une idylle entre les deux forces antagonistes du bien et du mal que sont la reine de la nuit et Sarastro. L’amour des deux jeunes héros prend alors le sens d’une épreuve à traverser, guidés par deux parents présents et occultes. Enfin Daniel Schmutzard incarne un Papageno très Sganarelle, peureux et amateur naïf de bonne chère comme de jolies femmes. Ses duos avec sa Papagena, en vieille morte décharnée à la voix chevrotante ou en baroudeuse, sont particulièrement réussis. Enfin, Monostatos (François Piolino), en « fossoyeur » pelle à la main, s’amuse et nous ravit par sa lubricité et son excentricité. Le chœur est impressionnant de densité.
L’orchestre de l’Opéra de Paris, dirigé par un Philippe Jordan heureux et très habité, s’en donne à cœur joie dans cette création très réussie.
Marie Torrès
La Flûte enchantée
Mozart – Robert Carsen
Jusqu’au 15 avril 2014
Opéra Bastille
75011 Paris
M° Bastille
www.operadeparis.fr
[Crédit photos : Opéra national de Paris/Agathe Poupeney]
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