La Dame aux camélias au Palais Garnier
John Neumeier donne une version très romantique de la Dame aux camélias, imprégnée du roman de Dumas fils, s’appuyant sur le roman de l’Abbé Prevôt, Manon Lescaut. Il propose une lecture éclairante, une lecture à plusieurs strates, un véritable palimpseste de ce drame.
En effet, Marguerite Gautier et Armand Duval, les deux protagonistes de ce drame sont dédoublés, reflétés en Manon et Des Grieux, pour les faire mieux fusionner dans le rêve. La Bible est très présente. On songe aussi au personnage de Marie Madeleine, lavée de tous ses pêchés par son repentir. En renonçant à Armand, Marguerite s’élève par amour pour lui. Le sacrifice de Marguerite permet au personnage de retrouver une âme de jeune fille et un père adoptif – celui d’Armand. Marie Madeleine, la grande pécheresse essuiera les larmes du Christ. Marguerite qui après avoir vendu son corps pour connaître le luxe, se détachera de tous les biens matériels et par bonté d’âme renoncera à l’être aimé.
On voit Marguerite assister au théâtre à la mort de Manon, emportée par son amant. La présence de Manon, courtisane, mais aussi martyre, qui apparaît dans le miroir, à plusieurs reprises, préfigure la mort certaine de Marguerite.
Dès même les premières secondes, la tragédie est annoncée. Le ballet revêt des allures de pantomime, dans une mise en scène très théâtrale. C’est la fidèle servante – dans le roman c’est sa fidèle amie, Julie Desprats – qui vient se recueillir dans l’appartement de la défunte, Marguerite Gautier, morte à 23 ans, à l’occasion de la mise en vente de tous les biens visant à couvrir ses dettes. Des curieuses, des bourgeoises et des cocottes clinquantes déambulent dans ce magnifique décor ; certaines goûtent le plaisir enfin d’ approcher ce mobilier et ces vêtements de luxe. Alors surgit Armand Duval, le jeune homme amoureux, éconduit par la fameuse courtisane. Éploré, il trouve réconfort auprès de son père et raconte ses souvenirs.
Le ballet est réminiscences. C’est pourquoi à chaque tableau, en anaphore, le metteur en scène a placé le fils, lisant le roman Manon Lescaut, puis le père, aux abords de la scène, en hors scène. De même, on apercevra à chaque début d’acte, la pancarte annonçant la mise en vente aux enchères des biens de Marguerite Gautier, aussitôt retirée dès que la narration commence.
Il y a du théâtre dans le théâtre, du ballet dans le ballet : quand la jeune Marguerite assiste au drame de Manon Lescaut, elle rencontre dans sa loge le jeune Armand dont elle se moque cruellement.
Le spectateur est subjugué par la beauté des pas de quatre qui unissent ces personnages à la fois réels et rêvés. Comme un leitmotiv, la récurrence des deux couples émerveille. La magnifique musique de Chopin interprétée superbement par l’orchestre, et par les pianistes, Emmanuel Stosser et Frédéric Vaysse-Knitter, très applaudis, emporte la salle. La passion amoureuse est à la fois vécue et montrée, soufferte et pensée ; elle est à la fois moment de vie et oeuvre d’art.
Le danseur étoile Mathieu Ganio incarne à la perfection ce jeune romantique, sensible, aimant, prêt à tout. Magnifique, élégant, dévoué et soumis à sa passion, il évolue avec noblesse et ardeur. Tout son corps exprime cet amour et ce vif désir sensuel. Il est déchirant d’émotions et de noblesse d’âme. Tantôt il vole vers elle, heureux, léger, tantôt la repousse brutalement, cruel, plein de rancoeur. Le danseur a su montrer toutes les facettes psychologiques du personnage d’Armand Duval.
Quant à Claire-Marie Osta très expressive, la jeune Marguerite, elle incarne une sublime coquette toute à son amour, une frêle jeune fille, sensible et émouvante. La danseuse étoile, gracieuse et délicate épouse merveilleusement ce personnage qui évolue et décline physiquement tout en s’élevant spirituellement. Devenue une véritable poupée de chiffon, bouleversante, elle continue à se mouvoir, à danser, en dépit de la maladie. Evanescente, le visage blanchi, aux pommettes rougies par le feu de la maladie, douce figure de l’amour, elle s’aventure frénétiquement une dernière fois au théâtre, puis au bal. C’est un tourbillon. Une frénésie de danse qui enserre l’action. Les deux jeunes sont l’expression même de l’union. Leurs corps graciles, semblent attirés l’un par l’autre par une alchimie, ils s’unissent dans une harmonie parfaite.
Les duos sont sublimes. Claire-Marie Osta tourne, telle une petite fille, autour du père d’Armand, implorante, déchirante, démunie. Le chorégraphe John Neumeier a su, comme dans le roman, montrer la tendresse toute paternelle du père, interprété magistralement par le danseur invité Michaël Denard, par des gestes retenus et emprunts de chaleur et d’émotions.
On revit pleinement le roman de Dumas fils grâce à la mise en scène de John Neumeier, enrichi de la pureté de la musique de Frédéric Chopin et de la grâce des ballets. Un enchantement !
Marie Torrès
La Dame aux camélias
D’après le roman d’Alexandre Dumas fils
Et la musique de Chopin
Chorégraphie et mise en scène John Neumeier
Extraits du spectacle sur le site de l’Opéra national de Paris
Jusqu’au 4 mars 2010
Réservations sur le site de l’Opéra national de Paris.
Opéra Garnier
8 rue Scribe
75009 Paris
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