L’amour à mort selon Warlikowski à l’Opéra Bastille
Le Château de Barbe-Bleue/La Voix Humaine De Béla Bartok et Francis Poulenc Mise en scène de Kryzstof Avec John Relyea, Ekaterina Gubanova, Barbara Hannigan et Cliaude Bardouil. Les 27, 29 novembre, 2, 4, 6, 8 et 12 décembre à 19h30. Le 10 décembre à 20h30. Tarifs : de 10€ à 210€ Réservation Durée : 1h55 Opéra Bastille |
Deux courtes oeuvres, « Le Château de Barbe-Bleue » de Béla Bartok (1918) sur un livret de Balazs et « La voix humaine » de Francis Poulenc sur un texte de Cocteau (1959) sont présentées en diptyque par le metteur en scène Krysztof Warlikowski. Des histoires de possession et de dépossession amoureuse sur fond de mythologie hongroise ou de mélo français portés par de grands interprètes.
Dans l’inconscient d’un monstre Le spectacle s’ouvre sur le prologue de l’opéra de Bartok avec Barbe-Bleue, incarné par la basse John Relyea, en magicien narrateur d’un conte de fées effrayant, manipulant lapins blancs et colombes tandis qu’une créature féminine à l’allure de Marylin Monroe décolle d’un mètre à la verticale du plateau. L’effet est sidérant, d’autant que la blonde jeune femme n’est autre que Barbara Hannigan, soprano puissante et sauvage qui sera l’amoureuse suicidaire de la Voix Humaine. Passé ce prologue, la scène s’ouvre sur une salle de concert vide où est assise Judith (Ekaterina Gubanova) la quatrième épouse de Barbe Bleue « venue du coeur d’une nuit semée d’étoiles », victime expiatoire qui vient sonner à la porte de son bourreau. La mise en scène de Warlikowski joue ainsi aux portes du conscient et de l’inconscient, brouillant les pistes du masculin et du féminin, pour nous parler des ravages de la passion. Scénographie à effets La rousse Judith supplie Barbe Bleue d’ouvrir les portes de son château, trois fois de suite, usant de ses charmes érotiques et ensorcelants, mais Barbe Bleue est un grand enfant honteux de ses actes criminels. La femme ici met l’homme devant le fait accompli de son animalité et leur innocence à tous deux vient faire le lit de la sidération et de la tragédie. Pas d’horreur gothique ni de portes fermées à double tour d’un château-fort moyenâgeux : ici, les secrets s’illustrent par des boites rectangulaires en plexiglas qui coulissent sur la scène et affichent les trophées du héros, armes sanglantes ou perruques féminines. En écho à la détresse du héros sanguinaire, la vidéo d’un enfant pleurant des larmes de sang et le film de Cocteau « La Belle et la Bête » avec Jean Marais donnent à Barbe Bleue une humanité étrange. La complicité entre victime et bourreau s’en trouve légitimée alors que l’aspect angoissant du conte de fées, qui joue sur les peurs irrationnelles et le fantastique, est du coup absent. Puissance de l’interprétation dramatique C’est alors que la Canadienne Barbara Hannigan, interprète sauvage et somptueuse, rentre en scène dans une interprétation sensationnelle de « La voix humaine », silhouette nerveuse et fine, moulée dans un pantalon noir, regard hagard et désespéré, ravagé par des ravins de mascara noir. A terre, rampant sur la tranche d’un canapé vinage, jambes en l’air et coeur saignant, la soprano réalise une performance qui tient de l’artistique et de l’athlétique, sans concession et d’un engagement total. On s’interroge du coup sur l’utilité de la présence du danseur Claude Bardouil, sorte de double masculin en détresse qui enlace le corps de l’amante larguée par son amoureux. Une très intense et juste direction d’orchestre est assurée par Esa-Pekka Salonen, en phase avec les musiciens de l’Opéra de Paris pour servir une partition riche de deux oeuvres qui illuminent le vingtième siècle. Hélène Kuttner [ Crédit Photos : © Bernd Uhlig] |
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