Enchantée Julia : “Comme c’est mon premier projet, je voulais me dévoiler telle que je suis”
La jeune chanteuse et compositrice Enchantée Julia a su faire ses preuves avec son premier EP Boucle. Partons aujourd’hui à la rencontre de son univers néo-soul et R&B 2.0.
Tout d’abord, à quel moment et comment as-tu su que tu voulais faire de la musique ton métier ? Tu as grandi dedans ou t’es-tu orientée toute seule ?
Assez jeune finalement, vers l’âge de 13 ans, quand j’ai vu ce film Sister act 2. J’ai eu comme une révélation, un déclic. Je reproduisais tout ce que j’entendais et je passais mon temps enfermée dans ma chambre ou dans ma salle de bain, la réverbération était monstrueuse ! (rires). Ma famille a fait mon éducation musicale : mes parents sont férus de jazz et de classique, ma grande sœur de R&B, rap US et néo soul… Mes parents ont fondé un festival de musique baroque, donc déjà très jeune j’étais imprégnée des concerts. J’ai aussi fait un peu de piano enfant mais je faisais semblant de lire les partitions et je rejouais tout à l’oreille. J’ai eu du mal avec le solfège, ça me faisait trop penser aux maths (je détestais l’école) et j’ai vite laissé tomber…
La musique a toujours eu une place importante dans ma famille et ils n’ont jamais été frileux à l’idée que j’en fasse mon métier bien au contraire, la seule condition : avoir le bac et travailler dur ! Une fois le bac obtenu, j’ai débarqué à Paris !
Ton style musical est plutôt affirmé : quelles sont tes influences ? Comment le qualifierais-tu ? Entre néo-soul et R&B ?
Je pense qu’on peut parler de ça oui, de néo soul et de R&B 2.0 ! Le style n’a pas encore connu de grand succès d’estime depuis au moins 15 ans, il est temps que le style émerge avec son temps ! Pour mes influences elles sont larges, j’ai écouté beaucoup de choses, on va commencer avec du old-school : Erykah Badu, Missy Elliott, Notorious Big, D’angelo… Mais aussi du jazz vocal avec Ella Fitzgerald, et de la chanson française avec Nougaro et Henry Salvador. Pour la nouvelle génération : The internet, Daniel Ceasar, Ari lenox, Her ou Kendrick Lamar…
Ton EP s’appelle Boucle, peux-tu nous en dire plus ? À quoi fait-il référence ?
La boucle, c’est ce qui me définit physiquement, on parle toujours de “la fille aux cheveux bouclés”. Pendant des années, je me suis littéralement défrisée les cheveux. C’était un attrait physique que je n’assumais pas, je voulais absolument me cacher derrière des cheveux lisses. C’est une sorte de revanche sur ce complexe qui m’a vraiment pourri la vie pendant un temps. La boucle, c’est aussi le temps qui passe, qui me fait peur parfois… C’est aussi les loops qui concluent chacun des titres de l’EP. Disons que le cheveu frisé est indomptable, je pense que ça reflète bien ma personnalité.
Comme c’est mon premier projet, je voulais mettre l’accent sur ça, me dévoiler telle que je suis enfin ! Donc de la cover de l’EP à la musique, tout mon univers s’est créé autour de cela.
Tu déclarais sur la scène de la salle Les Étoiles que tu as longtemps été complexée par tes cheveux… Tu nous dis qu’il est important pour toi de t’affirmer avec ce premier projet, quel a été ton chemin pour y arriver ?
Le chemin a été long ! À tel point que la plus part de mes amis ne m’avaient jamais vu avec mes cheveux au naturel. J’avais besoin d’être moi-même, d’avoir confiance en moi pour oser me lancer en solo, sans aucun soutien professionnel ni moyens financiers au début. Heureusement j’ai reçu le soutien d’amis, ou de personnes qui ont trouvé que mon projet était intéressant, puis les choses ont évolué assez vite.
Pour ce premier EP tu es bien entourée, entre Prince Waly, Luidji, ou encore Oscar Emch… Comment vois-tu ces collaborations ? C’était important pour toi d’être accompagnée pour un premier projet et de t’affirmer avec certains artistes ?
En fait c’est ce qui me plaît le plus dans la musique, c’est de la partager de manière générale, autour d’une chanson, d’un texte… Peu importe mais j’adore les duos féminin masculin, et à chaque fois c’est une histoire différente. Ce sont des coups de cœurs pour les 3 feats. Prince Waly c’est l’amour de ma vie et un rappeur authentique comme on en fait peu. Oscar Emch c’est un petit génie, je crois tellement en lui. Luidji c’est vraiment un artiste confirmé, plein de talent ! Tout s’est fait de façon très spontanée, et je continuerais à partager des chansons encore et encore ! Pour l’écriture et la composition de Boucle, j’ai eu la chance de travailler avec les talentueux Fils Cara et les frères de Terrenoire.
Ta direction artistique est forte, à la fois vaporeuse et poétique ; tu y présentes beaucoup de femmes, avec les cheveux frisés, une ambiance de sororité presque… C’est ton idée, ton envie ?
Je tenais à axer la photo autour de la boucle et de la femme. C’est Lokmane, le réalisateur du clip de 45 tours, qui a conçu la cover de l’EP. Il a imaginé cette photo comme un tableau de peinture classique (The Mermaids d’Ivan Kramskoï, Les Ondines d’Ernest-Auguste Gendron). La construction de la photo se fait autour de six filles aux cheveux frisés comme moi, pour six chansons, six partitions. Chacune représentant une facette de moi. Nous sommes rattachées à la terre et moi plus particulièrement aux racines de l’arbre, pour signifier le retour à ma vraie nature de cheveux.
C’est une sorte de poésie photographique !
Quel est ton processus de création ? As-tu besoin d’être entourée ou seule ? Comment arrives-tu à te lancer dans l’écriture de tes textes ?
Comme je l’ai dit précédemment, travailler seule dans mon coin c’est pas vraiment mon truc… Avec Fils Cara (avec qui nous avions fait Montreuil-Chapelle) nous avons écrit et composé 3 chansons sur cet EP (Éteins la lumière, Twin-go, L’au-delà). L’inspiration et l’écriture sont venues instantanément et simultanément, nous étions en osmose. Il m’a donné confiance en moi, m’a poussé dans l’écriture, il a vraiment été à l’écoute de mes attentes. Nous avons passé beaucoup de temps a réaliser les titres, c’est un producteur vraiment prometteur !
Oscar Emch, je l’ai connu grâce au groupe Bolides. Sa voix m’a vraiment interpellé, j’ai eu un gros coup de cœur! Je n’ai pas pu m’empêcher de lui proposer de faire une session dans mon salon cet été, et la chanson Le salon est née. Oscar est également multi-instrumentiste et producteur, il a aussi produit le duo avec Luidji, Cinéma.
Terrenoire, ce sont mes frères de cœur, nous nous connaissons depuis plusieurs années. Raphael m’a toujours poussé à écrire en français et m’a conseillé dans mes démarches artistiques comme un grand frère (il a aussi participé au titre 45 tours). Un été dans mon village natal, nous étions en vacances, et nous avons composé Château de sable. Theo est lui un incroyable producteur et cette chanson m’est précieuse, je tenais à ce qu’elle figure sur l’EP.
Il y a aussi des musiciens et amis qui sont venus sublimer les productions. Je tiens à ce mix entre l’organique et le produit : Ralph Lavital à la guitare, Elise Blanchard à la basse et mon acolyte Saintard aux claviers, et enfin Maxime Kozinetz et Kezo au mixage du projet. Je suis bien entourée !
Le milieu musical est encore aujourd’hui assez fermé. Est-ce que tu as ressenti des difficultés à “percer” en étant une femme qui fait ce style de musique ?
Les difficultés oui j’en ai toujours ! (rires). Elles sont d’ordre financier surtout. Je m’explique : je porte ce projet seule, je suis productrice de ce projet. Et même si aujourd’hui je peux compter sur la présence d’un distributeur, éditeur, tourneur et attaché de presse, franchement j’ai vraiment trimé pour les convaincre de me suivre. Je me suis sentie parfois dépassée, seule et sans énergie… Mais je sais pas pourquoi, il y a toujours cette flamme qui ne s’éteint pas à l’intérieur de moi, et aussi des amis sur qui j’ai pu compter. Parce que je suis une femme et parce que je fais un style musical qui peut paraitre désuet ou connoté (pour certains professionnels), oui j’ai pu ressentir du mépris ou de la frilosité à mon égard. Mais qu’importe je m’en fiche ! Je sais qu’il y a un public pour cette musique, la preuve c’est qu’il y a plein d’artistes qui sont en train d’émerger !
Comment ça se passe en cette période de confinement ? Arrives-tu à rester créative et inspirée ou fais-tu une pause ?
Je fais exactement les deux ! J’ai la chance d’être dans le sud de la France, chez moi, et de pouvoir me reconnecter à mes essentiels : la nature et l’air. Mais j’avoue que je suis en train d’écrire et composer quelques chansons, mais sans pression… J’en profite aussi pour faire des choses que je n’aurais jamais pris le temps de faire du genre cuisiner a fond, mettre de l’ordre dans mes papiers, me faire du bien avec des masques et potions magiques maisons pour mes cheveux !
Avec les réseaux sociaux, la période est propice à un flux constant de contenus, de pressions autour du fait de rester actifs, créatifs, en forme… Comment le vis-tu ? Arrives-tu à te détacher de cet engrenage ?
Personnellement, je suis un peu déconnectée et je ne regarde pas trop ce qui se passe. Je vois cette période comme une pause pour la planète et pour les êtres humains. Avant le confinement c’était déjà un peu trop pour moi, mais là c’est doublement pire. Il y a l’envie de divertir à tout prix, et il en fait ressortir ce qui ne va pas dans ce monde, et que je déteste. Peut-être ont-ils peur qu’on les oublie? Je ne sais pas, chacun fait comme il veut mais en tout cas ce n’est pas comme ça que je ressens ce moment.
Dans la sphère musicale, beaucoup d’artistes profitent de ce moment pour sortir de nouveaux titres, clips, projets… Est-ce que tu ressens une pression de ce côté là aussi ou trouves-tu ça encourageant ?
Oui c’est encourageant, je trouve ça très cool et je les comprends ! De mon côté je vais essayer de vivre au jour le jour, de toute façon il est impossible de se projeter pour l’instant.
Et enfin, tes dates ont été annulées ou reportées… On te retrouve dès qu’on peut et avec des nouveaux projets ?
La scène c’est notre moteur, on se demande un peu tous ce que l’on va devenir… J’avais une quinzaine de dates et plouf c’est tombé à l’eau ! Normalement, tout sera reporté à la rentrée (si tout va bien…) Je vais sortir un titre inédit fin mai, et je suis déjà sur le prochain projet… J’avance !
Pour streamer Boucle c’est ici.
Propos recueillis par Apolline Erneste
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