Elisapie : trouver la vérité, c’était la quête de cet album
Elles ont choisi le chant pour remonter le fleuve de leurs racines et répondent à nos questions en sortie de scène, au festival Les Suds à Arles. Rencontre #1 avec la chanteuse Elisapie qui nous guide depuis sa loge, sur les routes folk rock de son road-trip intérieur, entre Montreal et Salluit, village inuit du Québec.
Les histoires que tu nous racontes sur scène s’enracinent dans un passé plus ou moins lointain, mais quand on te voit sur scène, on te sent très enracinée dans le moment présent : qu’est-ce qui est le plus important quand tu chantes, le passé ou le présent ?
Les deux vont ensemble. Je suis constamment dans le passé et en même temps, je suis dans le moment présent : je ne suis pas seule sur scène, je suis avec des musiciens avec qui j’essaye de livrer une émotion. Ce n’est pas juste une histoire de performance, on essaye vraiment de livrer ensemble quelque chose de fort, suffisamment fort pour aller chercher les gens. Il faut que je sois dans le moment présent, que mes tripes soient là, sinon autant demander à quelqu’un d’autre de chanter à ma place.
Mais il y aussi dans ces chansons, des histoires très importantes, inspirées de ma culture. Je trouve ça important que l’histoire soit aussi forte que la musique. Pour raconter cette histoire, il faut que je sois aussi dans le passé. Je dois ça à mes chansons. Et si je ne sens pas que je suis dans ces deux mondes là à la fois, j’ai l’impression d’avoir mal fait mon travail.
Tu parles de retour aux sources pour ce troisième album. En même temps il s’agit d’une fugue [ndlr : l’album porte le titre de la chanson The Ballad of The Runaway girl ]. Finalement dans quelle direction as-tu eu l’impression d’aller en écrivant cet album ? C’était une fuite ou un retour ?
J’ai dû faire un grand retour aux sources, reprendre mon histoire quasiment à ma naissance. Quand j’ai réalisé ça, j’ai eu très peur. Mon corps et mon esprit ont fait beaucoup de résistance. Je n’étais pas bien. Mais j’ai pris conscience que j’avais un travail à faire sur moi, qui était beaucoup plus grand que je ne le pensais. Et c’est à ce moment là que j’ai enfin été capable de bouger, comme si le nœud s’était défait. J’ai dû vraiment apprendre à lâcher prise, avoir confiance. Et quand on a cette confiance-là, on vit dans le moment présent et on est prêt aux rencontres. C’est pour ça que je l’appelle mon road-trip musical [sourire] .
Un road-trip intérieur alors ?
Totalement intérieur. Et un road-trip aussi dans le sens où je n’ai pas choisi les rencontres à l’avance. Au lieu de me dire que j’allais écrire une chanson avec telle ou telle personne que j’aime, je me suis dit que je verrai où la route me mènera et que peut-être, oui, je travaillerai avec ces personnes. Et c’est ce qui est arrivé. Tout s’est fait très naturellement. J’ai essayé de suivre mes tripes. D’ailleurs c’était la quête de cet album : trouver la vérité.
Tu as trouvé ?
À présent je me sens plus légère. Et j’ai beaucoup moins peur. Avant j’avais peur de tout : de ne pas plaire, de ceci, de cela. Maintenant il y a plus grand-chose qui me fait peur. Et puis j’assume mes défauts, ma vulnérabilité, mes forces aussi. Et ça c’est vraiment important. Je sais que je suis forte et je n’ai pas peur de l’admettre. À moi-même en premier. Mais dans tous les cas, je crois que je trouverai toujours un moyen de me mettre en quête de quelque chose. Je suis faite comme ça.
Ce retour aux sources, ce chemin vers ton passé, qu’est-ce qui t’a fait prendre conscience que tu devais le prendre ?
Il y a plein de choses. J’étais au milieu du post-partum avec mon 2e enfant. Et c’est comme si soudainement je me suis sentie fragilisée. Et je ne suis pas habituée à ça, à me sentir vulnérable. Oui je suis quelqu’un de sensible, de passionnée, mais pas aussi vulnérable. Et sentir cette vulnérabilité ça m’a vraiment ébranlée.
Je pense que c’est au tout début, en écrivant la première chanson que j’ai pris conscience que ça n’allait pas être facile. J’ai du apprendre à prendre le temps, aller beaucoup plus loin dans mon histoire que ce que je pensais, et faire un réel travail sur mon identité.
Tu disais que tu as dû revenir à ta naissance, peux-tu nous décrire à quoi ressemble justement, l’univers dans lequel tu es née et dans lequel tu as grandi ?
Je viens d’un petit village qui s’appelle Salluit, communauté Inuit au grand Nord Québécois, sédentarisée il n’y a pas si longtemps que cela. C’est là que j’ai grandi jusqu’à mes 21 ans. Pour moi, mon enfance, c’était vraiment un mélange entre la tradition et la modernité. Comme n’importe quel enfant de mon âge j’ai eu mon album de Michael Jackson par exemple. En même temps mes parents sont nés dans un igloo et ils ont connu toutes les choses traditionnelles. C’est peut être parce que j’ai connu ça que j’ai souvent cette envie de me ressourcer là-bas. C’est magnifique, même si on a beaucoup perdu.
Dans le contexte politique actuel, y a t-il pour toi une dimension militante dans le fait d’affirmer sur scène ton identité inuit et de t’en inspirer ?
Etre autochtone, c’est automatiquement être militant et politique. C’est comme ça en 2019 : on a pas le choix. Il y a trop d’injustices dont on souffre et dont on doit parler.
Propos recueillis par Lydie.M
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