Elektra – Opéra Bastille
Celle-ci se déploie dans la puissance tragique du décor sobre et imposant de Michael Levine. Des murs gigantesques légèrement arrondis emprisonnent dans la nuit les protagonistes : nul n’échappera de la tragédie des Atrides.
À n’en pas douter, Robert Carsen est un metteur en scène qui plait au public de l’Opéra de Paris. On ne compte plus ses créations, de Capriccio à Eugène Onéguine, en passant par Les Contes d’Hoffmann… Sa plus grande qualité étant de composer des tableaux d’un esthétisme rare.
Dans Elektra, le décor unique est à la fois extérieur et intérieur. Au cœur de cet espace nu, lieu d’errance d’Élektra, rejetée par sa mère, trône la fosse mortuaire où repose Agamemnon, chef des Achéens. La jeune fille espère le retour de son frère Oreste et pleure son père assassiné par l’amant de sa mère, Égysthe. Comme par magie, cette même fosse devient l’entrée du palais de luxure. Jusqu’à y enfourner le lit blanc défait où s’alanguit Clytemnestre.
Le livret de Hofmannsthal est d’une efficacité redoutable. L’intrigue est resserrée et laisse libre cours à l’introspection des personnages.
Pour rappeler l’origine primitive du sacrifice, Robert Carsen recouvre le sol de tourbe, lequel évoque l’univers sacrificiel et grégaire du célèbre Sacre du printemps de Pina Bauch. Aussi, Irène Théorin (Élektra) s’y meut dans une gestuelle féline, reflet de sa rage meurtrière. Pas de couleur. Seuls le noir et le blanc antithétiques s’affrontent sur le plateau. La lumière crue semble auréoler le couple meurtrier, vêtu de blanc virginal tandis que la nuit enveloppe de noir tous les autres personnages qui ourdissent dans l’ombre leur funeste projet de vengeance. Sacrifice humain certes mais aussi biblique. Le corps nu d’Agamemnon qu’enserre Elektra dans ses bras a des allures christiques.
Donnant une pleine puissance au personnage d’Élektra, Carsen démultiplie la soprano. Toutes les jeunes femmes se ressemblent : longue chevelure brune, robe noire fluide. Elles sont vingt-quatre sur scène. Comme un chœur antique muet, elles accomplissent simultanément en un rituel sacré les gestes d’Élektra, dans une chorégraphie solennelle de Philippe Giraudeau. Elles animent chaque tableau comme si elles incarnaient scéniquement les changements de décor (notons également le rôle des lumières).
La mise en scène ne manque pas pour autant d’humour. Dans un tableau très bande dessinée, à la vue d’Égisthe, les femmes alignées cachent d’un mouvement unique la hache destinée à le tuer. Seul ce personnage est traité dans un décalage comique. Kim Begley a l’air de sortir du lit, le ventre à l’air dans une bonhommie satisfaite. Il crée cette respiration nécessaire à ce climat de violence, qu’on retrouve déjà dans Salomé, avec le roi Hérode.
Irène Théorin triomphe auprès du public. Elle convainc par la finesse de ses sentiments et sa puissance vocale. Elle émeut dans son duo avec sa sœur ou les retrouvailles avec Oreste. La scène de la reconnaissance d’Oreste est très réussie. Comme dans un duo amoureux, le baryton-basse, Evngeny Nikitin, et la soprano chantent la douceur de l’amour fraternel. On peut déplorer qu’elle ne chante pas plus souvent à l’avant-scène pour des raisons acoustiques. Mais on ne peut pas tout avoir.
Nikitin, souvent entendu à Bastille ces dernières années, a une présence magnétique. Son timbre, à la fois austère et chaleureux transcende le rôle.
Ricarda Merbeth, récemment héroïne de l’Affaire Makropoulos à Bastille, interprète une Chrysothémis épanouie, réclamant mari et enfants. Elle aussi, évoque par ses similitudes un autre visage d’Elektra, dont la voix pourrait d’ailleurs parfaitement tenir le rôle. La soprano allemande rayonne dans une puissance vocale généreuse.
Enfin, Waltraud Meier très applaudie, resplendit. La mezzo-soprano crée une mère sensible, lumineuse et voluptueuse, contraire aux interprétations habituelles du personnage, qui est écrit pour une voix d’alto. Ses graves sonnent de façon très métalliques et renforcent la subtilité de son jeu dramatique.
L’orchestre de Philippe Jordan est particulièrement applaudi. C’est pourtant une lecture très mesurée qu’il donne de l’opéra de Strauss. La mise en place est parfaite et a été certainement préparée avec application. L’intelligibilité des textures sonores y est notamment remarquable. Un peu comme pour le Ring de 2011, il manque le petit grain de folie, qu’il avait su par la suite transmettre à son orchestre. C’est donc le signe d’une construction sur le long terme. Cette production d’Elektra est assurément appelée à être reprogrammée prochainement. Gageons que le chef suisse y développera alors tout son talent.
Marie Torrès
Elektra (1909)
Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène de Robert Carsen
Tragédie en un acte, op.58 de Richard Strauss (1864-1949)
8 représentations du 27 octobre au 1er décembre 2013
Opéra Bastille
M° Bastille
[Crédit photographiques : Charles Duprat]
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