Don Giovanni – Opéra Bastille
On pourrait se croire dans le hall d’un building de la Défense pendant la maintenance de nuit. Tout est possible dans ce lieu froid et sombre et dans lequel règne de sa toute puissance, le PDG, Don Giovanni, « le plus méchant homme du monde ». Le baryton exceptionnel, Peter Mattei, est très impressionnant. Il incarne un Golden Boy, froid et violent, avide de pouvoir, en proie à ses pulsions dévorantes et destructrices. M. Hanecke propose une nouvelle lecture convaincante du Don Giovanni de Mozart. C’est un adictt sexuel : il viole Donna Anna, la fille du patron, à moitié consentante, se jette sur Leporello tantôt pour l’embrasser ou l’étrangler, après avoir couché avec lui. Donna Elvira est une victime complètement possédée et soumise, Zerlina fait partie de l’équipe de nettoyage. On retrouve le thème du masque, transposé à l’occasion des fêtes de fiançailles de la jeune fille avec Masetto.
Pas de spectaculaire, pas de beaux décors, pas de surprises, rien qu’un couloir qu’on éclaire de temps à autre, qui s’ouvre sur un ascenseur et des salles de travail qu’on ne voit pas. Ce décor fermé sur lui-même plutôt décevant mais assumé, renvoie à l’univers hostile et froid de l’entreprise. Celle-ci détruit ses employés, voire défenestre même le patron. Pas d’espoir. Dieu est le grand absent de l’opéra et fait place à la loi du talion qui agit sourdement. C’est une figure fantoche du Commandeur à tête d’abat jour qui se déplace en chaise roulante.
Heureusement dans cet univers cynique, les voix sont vraiment belles. Qui d’autre que le baryton suédois eût su rendre toute la brutalité et l’élégance de Don Giovanni ? Peter Mattei domine et effraie par tant de froideur. Patricia Petitbon a été particulièrement applaudie en Donna Anna pour son interprétation saisissante et poignante. Elle charme par la pureté de sa voix ronde qui multiplie les virtuosités. Bernard Richter propose un Don Ottavio d’une tendresse juvénile et ardente. Le ténor suisse apporte espoir et fraîcheur dans cet univers froid et distant tandis que Leporello – David Bizic, imite le cynisme de son maître. Enfin, saluons Véronique Gens, superbe en Donna Elvira. La soprano émeut toute la salle dans l’expression de sa douleur au second acte, traînée littéralement et jouée par Don Giovanni.
Ce parti pris moderne ne présente pas la dimension tragique de l’opéra de Mozart mais cerne bien sa violence sourde et destructrice.
Marie Torrès
Don Giovanni (1787)
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Direction musicale : Philippe Jordan (15 mars – 14 avril) et Marius Stieghorst (16 – 21 avril)
Mise en scène : Michael Haneke
Décors : Christoph Kanter
Costumes : Annette Beaufaÿs
Lumières : André Diot
Chef de chœur : Alessandro Di Stefano
12 représentations
Du 15 mars au 21 avril 2012
Opéra Bastille
M° Bastille
[Crédit Photos : Ch. Duprat]
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