Don Giovanni – Aix-en-provence
Oubliez le Don Juan que vous connaissez, jeune, beau, galant et ténébreux, car vous ne trouverez aucun de ces traits dans cette nouvelle production du metteur en scène Russe Dmitri Tcherniakov. Après avoir brillamment mis en scène l’opéra de Tchaïkovski Eugène Onéguine et Macbeth de Verdi à l’Opéra de Paris, Tcherniakov revient avec sa dose de référence cinématographique pour présenter un Don Giovanni au livret quelque peu modifié.
Les spectateurs se retrouvent face à un décor unique, à savoir un spacieux salon d’un grand appartement bourgeois, et l’action se déroule sur plusieurs mois. L’unité de temps, d’action et de lieu est transformée tout comme le statut des personnages.
Toujours autant fasciné par la famille, Tcherniakov a décidé de montrer en guise de prologue une réunion familiale où le commandeur n’est autre que le patriarche, Donna Anna sa fille avec à ses côtés son fiancé Don Ottavio, elle-même entourée de sa fille Zerlina et son amoureux Masetto tandis que Donna Elvira incarne sa cousine accompagnée de son mari Don Giovanni. Reste Leporello, un ami de la famille quelque peu dérangé et à l’allure enfantine. Le cadre est présenté, l’action peut commencer.
La catharsis des sentiments
Le cinéma reste donc une grande source d’inspiration dans cette nouvelle production et il est amusant de reconnaître des éléments provenant des films de B. Bertolucci, Lars Von Trier, Thomas Vinterberg, Milos Forman, R. W. Fassbinder ou encore Marco Bellocchio.
Il y a tout d’abord au premier plan ce Don Giovanni, puissamment incarné par le Danois Bo Skovhu. Tout droit sorti du Dernier Tango à Paris et sosie de Marlon Brando, ce Don Juan paraît fatigué, déprimé, mélancolique et dont la folie s’empare peu à peu de lui jusqu’à une démence qui pourrait rappeler celle de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. A côté de lui, Leporello le suit tel un enfant gâteux et semble faire écho au personnage torturé et dérangé d’Alessandro dans le premier film de Marco Bellocchio Les points dans les poches.
Une tableau de famille de la Russie contemporaine
Le parti-pris choisi par Dmitri Tcherniakov est une réussite pour plusieurs raisons. Sa vision noire et pessimiste du mythe de Don Giovanni est ici modifiée pour mieux s’attarder sur la psychologie des personnages. Provoquant un vrai mélodrame, cet invité de la famille va en bouleverser chacun des membres en les torturant tous sans exception.
Sa force de séduction inégale envoûte chacun des personnages féminins : Donna Anna est transformée en une nymphomane manipulatrice tandis que Zerlina, comme sa mère, n’arrive pas à se défaire de cette rencontre qui l’a envoûtée jusqu’à en fantasmer devant les yeux de son Masetto alors roué de coup dans le deuxième acte. Donna Elvira est quant à elle prête à tout pour sauver cet odieux individu tout en souhaitant le condamner. Toutes les trois portent en elle les traits russes reconnaissables à leurs postures, leurs cheveux et leurs traits de caractères.
Don Ottavio apparaît lui comme un mafieux russe avec ses lunettes fumées et son costume bleu. La littérature russe n’est décidément pas loin et l’on a l’impression d’être dans un roman de Dostoïevski contemporain : Don Giovanni en serait L’idiot et Leporello L’adolescent. Autre détail majeur, l’attention apportée à chaque geste, chaque posture et chaque accessoire (le manteau de Don Giovanni) rendant l’action encore plus violente.
Un premier acte plus intense que le deuxième
Il y a dans ce premier acte des instants de pure intensité et d’une puissance rarement vue sur scène. Dès le début du l’Opéra, le ton est donné : Donna Anna ressent une pulsion sexuelle intense en compagnie de Don Giovanni et réagit à peine lors de la mort de son père. L’ironie est de même très présente et apparaît à plusieurs reprises comme lors de l’air de Donnar Elvira Ah, chi mi dice mai. Petit détail, quitte à continuer dans les références cinématographiques, il est dommage de ne pas s’être inspiré de Jean-Pierre Léaud et Maria Scheider dans le toujours Dernier Tango à Paris pour Mazetto et Zerlina plutôt que de les accoutrer en pseudo-rocker.
On se souviendra par la suite du face-à-face osé et si érotique entre Donna Anna et Don Ottavio lors des airs Or sai chi l’onore suivi de Dalla sua pace. La scène du bal est enfin l’une des plus luxurieuses et pouvait rappeler le Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.
Même si le deuxième acte perd un peu en énergie, l’arrivée finale du commandeur dévoile un complot arrivant à point. La folie de Don Giovanni est alors à son point le plus extrême, ce qui lui porte forcément un coup fatal. La revanche est bien consommée.
Dirigé sans partition et de façon exemplaire par Louis Langrée, ce Don Giovanni reste unique pour sa puissance destructrice et sa vision psychologique. La retransmission télévisuelle a permis d’être au plus près des chanteurs et de percevoir leurs apparences physiques si importantes dans cette production. A noter la possibilité de la (re)voir en streaming sur Arte Live Web jusqu’au lundi 12 juillet.
Edouard Brane
Festival d’Aix en Provence
Don Giovanni
Le 5 juillet 2010
http://liveweb.arte.tv/fr/video/Don_Giovanni_au_festival_d_Aix-en-Provence/
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