DEGIHEUGI : “La musique instrumentale est un langage universel qui parle à tout le monde”
Collectionneur de sons à la recherche du sample idéal, le beatmaker français Degiheugi nous a dévoilé le 23 avril 2021 son 8e album Foreglow. Aux multiples influences, allant de la samba à l’afrobeat en passant par la soul et la chanson française, cet album nous fait voyager sous le soleil estival. Rencontre avec un artiste passionné à la musique solaire et positive.
Pourriez-vous me parler de votre parcours ?
J’ai commencé comme DJ dans un groupe de rap. Je m’étais mis à la production et ça m’avait vraiment intéressé, plus que d’écrire des textes par exemple. Alors j’ai décidé de m’y consacrer, et je me suis un peu éloigné du rap pur et dur pour m’orienter vers un style plus instrumental et expérimental. C’est en 2005 que le projet Degiheugi est né avec le premier album sorti la même année. Depuis, j’ai continué et aujourd’hui je sors mon 8e album.
Comment est-ce que vous qualifieriez votre musique ?
Je dirais que c’est du hip hop tout simplement. Souvent on qualifie ma musique d’abstract hip hop mais je ne la trouve pas si abstraite que ça. Je n’aime pas forcément toutes les catégories qui mettent absolument un mot précis sur chaque musique. Je suis né dans le mouvement hip hop et pour moi j’en fais toujours, mais à ma façon. En plus, j’aime bien ce terme, je le trouve plus rassembleur.
On ressent de nombreuses influences musicales différentes dans votre album. Comment est-ce que vous choisissez vos samples ?
En général, j’essaie d’avoir un thème global sur chacun de mes albums. Sur celui-là, je voulais une atmosphère solaire et positive. Je suis allé digger (chercher des sources et des vinyles) dans des pays du sud de l’Europe et de l’Amérique. Ce sont des pays où le soleil fait que la musique est un peu différente. Je suis allé puiser mon inspiration là-bas pour y trouver ma matière première, puis j’y ai rajouté ma touche personnelle.
Où trouvez-vous vos samples ?
Avant je les cherchais dans les disquaires et brocantes un peu partout lors de mes voyages, mais la situation actuelle m’a empêché de procéder de cette façon pour cet album. Heureusement, il y a des solutions annexes avec Discord ou Youtube où l’on peut écouter la musique, et on essaye ensuite de trouver le vinyle, sur eBay par exemple. En revanche, il y a un peu moins le côté “surprise et découverte”, la fierté d’avoir déniché une pépite au fin fond d’un bac. Je suis quelqu’un de très attaché au physique alors je mets un point d’honneur à retrouver le vinyle à chaque fois que je le peux pour le sampler. La qualité y est meilleure. En plus, j’ai appris à sampler comme ça à mes débuts alors j’ai gardé cette habitude. Je trouve aussi qu’il y a un côté plus authentique que j’aime bien. C’est un peu psychologique ! Je préfère continuer de cette manière, même s’il y a d’autres outils qui permettent de le faire plus facilement aujourd’hui.
Pour ce qui est de l’écriture, le texte n’arrive qu’à la fin dans votre processus de création ?
Pour Final Ground par exemple, nous avions fini de composer le morceau avec Hugo Kant et nous étions fiers de ce que nous avions fait. Nous avions le titre. Mais je sentais qu’il manquait une petite accroche pour appuyer l’idée du cycle final. J’ai alors cherché jusqu’à trouver cette petite phrase : “On est bien peu de chose”. Elle apporte les fondations du morceau alors qu’elle a été mise en dernier. Nous voulions parler de l’impression que, même si les humains ne sont pas grand-chose sur cette Terre, ils arrivent quand même à la détruire. Quand on compose, on a toujours l’idée qu’on veut faire passer bien en tête, mais sur une musique instrumentale, tout le monde peut interpréter le morceau comme il le souhaite. C’est pourquoi l’agrémenter d’une petite phrase permet d’appuyer le propos.
Certains morceaux sont en anglais, d’autres en français. Pourquoi ?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Certaines fois, les messages que je veux faire passer sont plus facilement exprimables dans une langue particulière. C’est par exemple le cas pour le titre de l’album : il n’y a pas d’équivalence française au mot “Foreglow”, à moins d’écrire tout une phrase. L’anglais est dans ce cas plus adapté à mon propos. Mais je n’ai pas forcément de préférence.
Votre album a également une magnifique pochette, crée par l’artiste Dulk. Le titre de ce visuel est Afterglow, titre également d’un de vos morceaux. Pourquoi le choix de ne pas le mettre aussi comme nom d’album ?
Pour la petite histoire, l’album devait s’appeler Afterglow, mais je me suis rendu compte que ce titre était sur beaucoup d’autres morceaux et albums, alors je ne voulais pas en faire un énième avec le même titre. Et puis, après réflexion, j’ai les mêmes sentiments lors du lever du soleil que lors de son coucher, la lumière est aussi belle dans les deux situations. Alors j’ai inversé le titre pour avoir quelque chose d’un peu plus personnel.
Que représente pour vous cette image ?
Je cherchais un illustrateur avec un univers onirique et coloré, ce qu’est le travail de Dulk. On a discuté de mes ressentis en tant qu’humain et il les a retranscrits dans un univers animalier. Je trouve ça très poétique. Dulk a fait la pochette de mes deux précédents albums (Endless Smile et Bagatelle). J’avais vraiment envie de trouver un illustrateur avec qui nous pourrions prévoir sur du long terme. J’aime bien l’idée qu’il y ait une suite visuelle sur mes albums. Il y a de grandes chances qu’il illustre de nouveau mon prochain album.
Ce 8e album, vous l’avez composé pendant le confinement ?
En grande partie oui. Le premier confinement m’a donné envie de m’évader. C’est en plus une période où je pars généralement à l’étranger. Comme je ne pouvais pas voyager physiquement, je l’ai fait à travers la musique. Je ne savais pas forcément où je voulais mener l’album mais cela s’est fait naturellement : je suis parti sur des ambiances assez solaires. Cette période m’a inspiré malgré elle, car elle m’a contraint à me plonger dans mon imaginaire, dans mes rêves des vacances. J’avais envie de prendre les choses à contrepied, plutôt que de rester dans le côté sombre de cette situation. La composition de mon album était pour moi une échappatoire. Comme cette musique me faisait du bien, je me suis dit qu’elle pourrait aussi le faire à d’autres personnes.
Vous réécoutez vos musiques une fois vos albums finis ?
Rarement. Je les ai tellement écoutées pendant 2 ans ! Je compose aussi beaucoup selon mon humeur de la journée. C’est pour cette raison que je produits 4O morceaux pour un album, puis j’en garde seulement 15. Selon les jours et mes humeurs, je pars sur des univers un peu trop hors contexte par rapport au message que je veux faire passer dans l’album. Alors les 25 autres restent à l’état de brouillon : mon disque dur est à l’image d’un carnet de croquis ! Il peut m’arriver de revenir sur un morceau qui n’est pas dans un album et de me dire qu’il mérite d’être peaufiné. Dans ce cas-là, je peux le sortir en single. Mais en général, j’ai du mal à retourner sur mes anciens morceaux car depuis, j’ai perdu l’inspiration du premier moment créatif.
J’ai vu que vous aviez votre propre label indépendant Endless Smile Record, mais ce 8e album sort avec X-Ray Production.
Oui, j’ai monté mon propre label pour être en total indépendance sur la sortie de mes disques. Mais pour ce 8e, je commençais à trouver difficile de tout faire seul : la production, la communication jusqu’à l’envoi des vinyles… J’ai eu envie de continuer l’aventure avec un label qui soit en accord avec mes convictions, qui puisse m’accompagner dans mon projet du début à la fin. Et j’ai rencontré X-Ray Production avec qui le contact est très bien passé ! Ils ont aussi réédité certains de mes anciens albums qui étaient devenus introuvables.
Est-ce que vous avez un public à l’international ?
Oui, j’ai par exemple déjà fait un festival en Australie, au Brésil, en Allemagne, au Canada… C’est une chose qui m’étonnera toujours : que ma musique soit écoutée par des personnes de l’autre côté de la planète ! Ça me fait extrêmement plaisir ! La musique instrumentale est un langage universel qui parle à tout le de monde ! Il y a aussi l’avantage des plateformes de streaming qui rendent notre musique accessible à la planète entière, ce qui était plus compliqué de faire avant. C’est magnifique !
Quand vous n’êtes ni en tournée, ni en train de composer, que faites-vous ?
Je suis responsable de communication dans une entreprise de cosmétique. J’ai donc un job assez prenant à côté de la musique. Quand je pars faire un festival, je pose des vacances, des jours de RTT, et j’essaie de le concentrer sur le week-end. J’essaie d’osciller et de compartimenter ces deux activités. Il y a un côté assez schizophrénique quand on y pense ! C’est une question d’organisation et de compréhension de son entourage, mais j’aime bien avoir ce flux tendu d’activité, cette vie bien remplie. Ma passion pour la musique est devenue un loisir qui prend beaucoup de place dans ma vie et qui me fait vivre de belles histoires !
Quand devrait-on vous revoir sur scène ?
On espère pouvoir revenir sur scène début 2022. La fin d’année 2021 risque d’être assez chargée à cause de l’embouteillage des reports et je préfère faire les choses de manière plus sereine.
Pour écouter Foreglow, cliquez ici.
Vous pouvez retrouver Degiheugi sur Facebook, Twitter, Instagram et Youtube.
Site officiel : www.degiheugi.com
Propos recueillis par Elodie Pochat
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